Sylvain Fadat : Le prophète de Montpeyroux

0
940

C’est l’un des artistes du Languedoc. Depuis trois décennies, Sylvain Fadat porte le domaine d’Aupilhac, à Montpeyroux. Toujours fidèle à ses principes, sans concessions sur la qualité, il a patiemment développé un vin de caractère… À son image !
« Cela risque de froisser les œnologues. Mais dans le vin, le plus important, c’est le sol, et la vigne ! Quand on récolte des raisins en bon état, on n’a pas besoin de rectification œnologique. » À 54 ans, Sylvain Fadat porte bien son nom. Homme de caractère et de convictions, il a longtemps bousculé le monde du vin du Languedoc. Mais son discours, autrefois critiqué, est aujourd’hui salué par les plus grands : chimie et vin font rarement bon ménage.
La preuve : son domaine d’Aupilhac, qui produit des vins bio à Montpeyroux, est reconnu par les plus grands. Saluées pour « leur profondeur, leur puissance évoluant vers la fraîcheur », ses bouteilles se trouvent à la carte des 3 étoiles : le Plaza Athénée d’Alain Ducasse, l’Arpège, Trois Gros, Bras… Et même l’Eleven Madison Park, à New York !
Mais au lieu d’en faire un argument marketing, le vigneron reste humble. « Bien sûr, c’est une grande satisfaction, reconnaît-il. On ressent une grande émotion quand on entre dans un premier restaurant étoilé. Mais je ne m’en servirai jamais pour vendre plus. Je veux que les gens aient un coup de cœur. J’essaye simplement de faire le meilleur vin possible. »
Il a d’ailleurs une anecdote sur le sujet. « Je m’étais lancé depuis 3 ou 4 ans. J’étais en train de remplacer des vignes. On sonne à la porte. Je ne les connaissais pas. On a parlé du vin, ils ont dégusté. Une semaine après, je recevais une commande de Michel Bras : j’avais reçu sans le savoir sa femme et son sommelier ! »
Sylvain Fadat est né sous une bonne étoile. Un père originaire de Montpeyroux, une mère d’Aniane, il a dans le sang deux des plus beaux terroirs du Languedoc. D’ailleurs, depuis 5 générations, ses aïeux produisent et vendent déjà du vin.

L’appel de la terre


Petit, il est marqué par le travail de la vigne avec son père, que la petite famille cultive pour le plaisir. Papa est géologue, et passionné de la bécasse. Maman est prof de sciences naturelles. Il aurait pu choisir la médecine, comme trois de ses frères et sœurs. « Mais mes notes n’étaient pas aussi bonnes qu’eux », sourit-il. L’homme a l’appel de la terre, et se tourne vers une seconde agricole.
« J’ai revu un ami du lycée, raconte t- il. Il m’a dit que j’étais déjà à fond à l’époque ! Je m’intéressais à la viticulture, son côté nature, la question de la production… » Il enchaîne donc avec un BTS viticulture-œnologie. En ce début des années 80, il a un rêve : suivre le sillon d’Aimé Guibert, à Aniane (chez qui il fera un stage e 1983), et d’Alain Roux, à Saint-Jean-de-Bebian. « Ils ont été les pionniers du vin de qualité en Languedoc. Ce sont un peu mes modèles. » Avant de se lancer, il passera aussi un diplôme en commerce. « J’avais besoin de maîtriser d’autres notions que la technique. »

Le temps de l’aventure

Il y a 30 ans, il reprend les vignes familiales, et acquiert des parcelles, à Montpeyroux. « Je me suis lancé avec 5 ou 6 hectares. Les premières années, je pensais financer ma cave avec de la polyculture, du maraîchage. Mais j’ai eu pal mal de déboires, et j’ai vite arrêté ! »
C’est le temps de l’aventure. Deux vieilles citernes de camions en guise de cuves, posées sur une dalle de béton fraîchement coulée, à l’air libre.
« On faisait le vin dehors, se souvient-il. Il fallait mettre en bouteilles avant l’été. » Pour sa première cuvée, en 1989, il produira 18.000 bouteilles (deux rouges, un rosé et un blanc). Pour les vendre, il charge sa vieille 305 break diesel, 200.000 kilomètres au compteur et part à Paris ! « J’en prenais trop, les amortisseurs souffraient. C’était magique, il n’y avait pas de pression ! »
À Paris, il propose ses vins à tout le monde, même au garagiste du coin.
Il joue au VRP auprès des comités d’entreprise. Avec les cavistes et restaurants, c’est plus difficile.
« J’étais naïf. Mais peut-être que j’en jouais un peu… La plupart du temps, je me faisais mettre à la porte, même en étant poli. Partout, on me disait : ce n’est pas possible de faire du bon vin en Languedoc. » Mais Sylvain Fadat veut lutter contre cette image de « bibine ». Il taille ses vignes, limite les rendements pour améliorer la qualité… Et grâce à la confiance d’un restaurant anglais près du domaine, il trouve des exportateurs.
« Ils venaient dans la région, attirés par Aimé Guibert. Les Anglais avaient moins de préjugés. Ils goûtaient mes vins. » Longtemps, il vendra presque toute sa production à l’étranger (Angleterre, Pays-Bas, États-Unis, puis Japon, Russie, Chine …). Aujourd’hui, cela représente encore la moitié des ventes.

Deux terroirs

Au fil des ans, l’exploitation a pris forme. Côté vigne, il développe deux terroirs. Près des caves, « Aupilhac », terrasses exposées au sud, accueille les cépages méditerranéens, comme le carignan et le mourvèdre. Et en amont, à 15 minutes de route et 350 m d’altitude, il plante « les Cocalières ». « Un secteur plus frais, qui apporte plus de finesse, d’équilibre et d’acidité, analyse le vigneron. Cela correspond à des cépages nordiques, comme la syrah. »
Montpeyroux, premier village aux portes du Larzac, est réputé pour son amplitude thermique, qui donne au raisin un surplus de caractère. Mais Sylvain Fadat peut aller plus loin en jouant avec ses deux terroirs, différents, mais complémentaires.
« L’amateur de bordeaux sera plus attiré par la puissance et la concentration d’Aupilhac. Celui qui apprécie les bourgognes préfèrera la fraîcheur des Cocalières. Ce qui est émouvant, c’est qu’avec le temps, Aupilhac gagne en douceur et en finesse, alors que les Cocalières prennent des épaules, de la complexité. »
Mais attention : s’il produit 135.000 bouteilles, le vigneron n’a pas la folie des grandeurs. « Je me suis toujours dit que 25 hectares, c’est bien. On reste à un niveau artisanal, mais on peut répondre au niveau quantité. Cela permet d’aller voir les clients. De maîtriser l’équilibre entre prix, quantité et qualité. »

Défenseur du bio

En tout cas, une chose est sûre : quelle que soit la bouteille, chez Aupilhac, on défend le bio depuis 10 ans. Et même la biodynamie, depuis 2014. Cela se voit dans le côté « sauvage » des vignes « J’étais bio bien avant les certifications.
Depuis les années 90, je n’utilise pas de colles, de levures, d’enzymes… Quand on utilise ces produits, on ne respecte pas la vigne. Une terre désherbée, ça pue la chimie pendant deux ou trois ans ! Il ne faut pas se laisser avoir par le lobby pétrochimique. » Il assure même que la biodynamie permet de rendre la plante plus résistante. « Elle se renforce en oligo-éléments. Un équilibre naturel s’opère entre les vignes, les baies et le sol. »

Si ces vins plaisent, c’est aussi qu’ils ne sont pas filtrés. « C’est bien meilleur ! Il faut arrêter avec l’excès d’hygiène dans le vin. C’est bon pour ceux qui ne maîtrisent pas la vigne. Mais c’est du bricolage. » Il plaide ainsi pour « le minimum d’interventionnisme dans les vins d’appellation. Sinon, le risque, c’est de tendre vers une forme de standardisation. Or, il faut défendre la typicité de nos terroirs. Tous les vins devraient être bio, surtout dans notre région, où il y a moins de maladies. Bien sûr, cela demande d’être un peu plus dans les vignes. Mais c’est ça, être vigneron ! »

Un défenseur du Carignan

Dans leur démarche de qualité, beaucoup de vignerons du Languedoc ont cherché le salut dans des cépages exotiques, arrachant les vignes historiques. Sylvain Fadat, lui, a toujours cru dans les cépages locaux, à commencer par le Carignan. « J’ai toujours entendu dire que le Carignan, ce n’était pas bon. Qu’il fallait l’arracher pour le remplacer ! Mais si tu en prends soin, que tu ne fais pas de surproduction, c’est un grand cépage équilibré, avec une bonne acidité, une belle concentration. En France, le consommateur semble conditionné. Mais à l’étranger, il a du succès. On peut en faire un des piliers d’appellation dans l’assemblage des vins de Montpeyroux ! »

Un gîte vigneron

Depuis 2010, Sylvain Fadat a aménagé La maison des Cocalières, deux gîtes vignerons, dans la maison voisine de son exploitation, sur la rue principale de Montpeyroux. Des gîtes en pierre, chauffés au poêle à bois et à la décoration chaleureuse, donnant à la fois sur le village et les vignes. « On y reçoit beaucoup d’amateurs de vin. Ils s’installent ici, ils viennent déguster, je leur fais visiter le domaine. Et ensuite, ils peuvent rayonner dans les terroirs du Languedoc. »
GWENAËL CADORET