Le Rosé, star de nos étés

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LE ROSÉ, C’EST QUOI ?

Non, ce n’est pas un mélange de vins blanc et rouge : c’est interdit en France, sauf pour le champagne ! Le vin rosé est le plus souvent issu de cépages rouges, voire noirs. Le secret de la couleur ne réside pas dans la chair, mais dans la peau. En faisant macérer le jus avec la peau, les anthocyanes délivrent leur pouvoir colorant au futur vin. Plus la macération sera longue, plus la couleur sera soutenue et le jus se gorgera en tanins. Il faut donc surveiller ce procédé, dit d’« infusion » pour séparer peau et jus quand la couleur convient. Ensuite, le processus est rapide. La vinification et le vieillissement ne durent que quelques mois (sauf exception), pour que les bouteilles soient distribuées dès le printemps. Ce qui explique sa palette aromatique un peu moins développée, et la difficulté à en faire un vin de garde : il a été embouteillé trop jeune pour avoir la capacité à bien vieillir !

Qui dit soleil, dit rosé ! Depuis quelques années, la « troisième couleur » connaît un succès sans précédent. Son côté frais et fruité l’impose pour l’apéritif et les grillades, mais aussi de plus en plus dans la gastronomie. Car dans la région, les viticulteurs misent sur la qualité.

« 9 consommateurs sur 10 déclarent boire du rosé. C’est considérable ! » Jean Natoli, l’œnologue de nombreux domaines viticoles languedociens, le confirme : le rosé est en plein boom. « Il suffit de regarder les chiffres. En 2015, 25 à 30% du vin consommé en France était du rosé. Aujourd’hui, le Français consomme 48 litres de vin par an, dont 12 litres de rosé. C’est devenu tout à coup quelque chose d’énorme. » Un succès éclair : dans les années 80, il était presque invisible dans les statistiques ! « À l’époque, il n’était même pas considéré comme du vin, poursuit le spécialiste. Il était traité par le mépris par beaucoup de gens. » Souvent relégué comme vin de « fin de cuve », le rosé était assimilé à un rouge « raté » à la saveur diluée ! Mais depuis une décennie, la consommation a été multipliée par 4, et le produit fait fureur chez les cavistes. Y compris le rosé local, qui rivalise désormais avec la Provence, la région de référence. »

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JEUNE, FRUITÉ, FESTIF : UN VIN À LA MODE

Qu’on le consomme au bord des piscines, en soirée, ou en pique-nique, le succès du rosé s’explique par son caractère convivial, idéal pour l’été. « À cette période de l’année, on va chercher à se faire plaisir, confie Frédéric Crespin, sommelier aux caves Notre-Dame, à Lattes. Les clients recherchent la simplicité, le fruité, la gourmandise, la fraîcheur… Le rosé, c’est le vin du soleil, des amis. » Il ajoute que ce vin plaît aux femmes. « 60% des clients que l’on reçoit sont des femmes. Lorsque les beaux jours arrivent, tout le monde veut du rosé. En saison, il représente plus de la moitié de nos ventes. »

Pour Jean-Philippe Granier, directeur technique de l’AOC Languedoc, il convient parfaitement à un public jeune, qui débute avec le vin. « Le rosé, c’est le vin de la jeunesse. Les tanins, c’est agressif, âcre. Cela demande un temps d’adaptation. Pour commencer à boire du vin, c’est quelque chose de plus accessible. » Jean Natoli le voit comme un produit « facile à boire, sans tanin ni amertume, avec parfois un peu de sucre résiduel ». Jeune par définition (99% de la production sera consommée dans l’année), il est donc tourné vers le fruit. « Plus on est proche de la récolte, plus le fruit ressort, rappelle l’œnologue. Un bon rosé doit être facile à avaler. Il faut de la fraicheur, une bonne acidité. Des saveurs de fruits rouges : cerise, groseille, framboise… »

Jean-Philippe Granier complète : « les rosés sont plus légers en goût. On est sur des parfums de fruits, d’agrumes, de floral. »

La raison du succès, c’est aussi une évolution « marketing » : couleur plus claire, prix accessible, bouteille design… « Les producteurs du Languedoc s’inspirent de la Provence, le terroir historique du rosé, note Frédéric Crespin. La mode du rosé estival a débuté à Saint-Tropez, Monaco… Puis notre région, voisine, a été touchée. On reproduit les mêmes tendances. » Le changement de couleur est symbolique. « La consommation a augmenté à mesure que la couleur a eu tendance à s’éclaircir, assure Jean Natoli. Vignerons et consommateurs se sont retrouvés sur l’idée d’une teinte plus légère. Le client pense qu’un vin léger en couleur est forcément léger en alcool. Ce n’est pas forcément vrai, mais ça marche ! »

Frédéric Crespin confirme que l’importance de la couleur. « Pour nos clients, c’est le premier critère de choix. On recherche la clarté, la limpidité. » Et la couleur préférée, c’est le rose pâle. « Des nuances de mauves, qui tendent parfois un peu vers l’orangé », précise Jean Natoli. Jean Philippe Granier résume la situation : « la mode, c’est le rosé clair, comme en Provence. » Et non « gris », « une couleur qui n’existe pas » !

Autres critères de succès d’un rosé : il ne doit être ni trop cher, ni trop fort ! « Il faut que le prix soit doux, en dessous de 8 € confirme Frédéric Crespin. Et que le degré d’alcool ne soit pas trop élevé : 13 degrés au maximum. Une jolie bouteille et un bouchon en verre peuvent aussi contribuer au succès. » Jean- Philippe Granier juge très importante cette notion de « prix plaisir » : « On trouve d’excellents rosés à 5 euros. À ce prix, on n’hésite pas, on achète ! » Même s’il existe des exceptions : l’historique Puech-Haut n’a pas de soucis à vendre ses vins à 10, voire 20 euros. L’avantage du pionnier, dont la marque est gravée dans toutes les têtes ?

UNE QUALITÉ SANS PRÉCÉDENT

Longtemps considéré comme un « sous-vin », le rosé est de plus en plus assimilé à un produit de qualité. « La qualité, c’est finalement ce que les gens trouvent bon, rappelle Jean Natoli. Si le rosé a un tel succès, c’est qu’il plaît. Vous savez, le consommateur n’est pas fou ! Le rosé est un vin très adapté aux saisons chaudes. » Jean-Philippe Granier assure que le Languedoc déborde de bons rosés. « On ne peut omettre les rosés traditionnels, historiques, des vignerons. Le plus connu, c’est Tavel, dans le Gard. Personne ne dira du mal du Tavel ! » Mais son pêché mignon, c’est le rosé de Cabrières. « C’est le rosé par excellence ! Il a une spécificité et une typicité exceptionnelles, s’appuyant sur un terroir de schistes, à base de cinsault, de grenache… Lors des dégustations à l’aveugle, ou pendant les concours, il est toujours au top ! » Il cite d’autres exemples, comme La Gravette de Corconne, « lui aussi exceptionnel », ou le Saint-Saturnin « très différent, mais très bon ». Frédéric Crespin, qui apprécie le Domaine Foltodon, les Anges de Bacchus, et le Mas des Dames, y voit le résultat d’un effort collectif. « Aujourd’hui, les vignerons vont autant réfléchir leur rosé que le rouge ou le blanc. » Et dans leur réflexion, ils font même un « casting des vignes avant les vendanges, promet Jean Natoli. Les parcelles les plus chargées en fruits juteux seront destinées au rosé. Car on peut faire de très bonnes bouteilles avec des vignes à fort rendement. Le savoir-faire développé depuis une décennie nous permet d’aller toujours plus loin. On n’a jamais fait d’aussi bons rosés ! »

Pour autant, Frédéric Crespin rappelle que ce vin doit être bu jeune. « Les rosés régionaux sont bons jusqu’au printemps de l’année suivante. Dans sa stratégie commerciale, le vigneron s’efforce de produire rapidement. Il faut que le vin soit disponible à la fin de l’hiver. Les clients en demandent dès les premiers beaux jours. » Du coup, le vin n’est pas du tout travaillé pour la garde. « Ce n’est pas ce que recherche le vigneron », justifie Jean-Philippe Granier. Ce qui explique que le rosé ne peut pas être comparé au rouge ou au blanc. « Il n’est pas destiné à la même consommation, annonce Frédéric Crespin. Dire que le rosé a autant de charisme que les rouges ou les blancs, c’est un peu présomptueux ! »

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DU ROSÉ EN GASTRONOMIE ?

Signe du succès : les rosés s’invitent de plus en plus dans les cartes des grands restaurants. Au Castel Ronceray, la sommelière Nathalie Guiltat lui accorde toutes les attentions. « C’est un des vins les plus compliqués à obtenir. Car le visuel compte beaucoup dans la dégustation. Aujourd’hui, la mode est à une robe pétale de rose, presque blanche. Mais on en trouve jusqu’à la couleur framboise, voir fuchsia. » Elle propose régulièrement à la clientèle des dégustations au verre noir. Surprise : beaucoup se trompent sur la couleur des rosés ! Pour la gastronomie, la sommelière s’intéresse notamment aux « rouges rosés », des vins structurés et denses, qui tiennent parfois en bouche comme de bons rouges. Avec une nette préférence pour le bio et les vins naturels. « C’est la sincérité du millésime, le respect de la terre et de la santé. » Considère-t-elle qu’il existe de grands rosés ? « Maintenant, oui ! Un Château Gléon, dans les Corbières, est un grand vin, très adapté à la gastronomie. » Elle évoque bien sûr les Provence, les Tavel. Mais aussi des domaines moins connus : le Château l’Argentier, à Sommières, « tout en finesse », le Domaine Prade Mari, dans le Minervois, « un rosé exceptionnel qui s’approche de l’esprit d’un vin rouge »… Jean-Philippe Granier ajouterait le Domaine Henry et La Croix-Chaptal, qui produisent « un rosé très foncé, sur des notes de fruits rouges, de framboise, de gariguette. On est presque sur la notion de rouge clair. Des vins parfaits pour les repas, les grillades de viande par exemple. » Nathalie Guiltat attend d’un rosé d’excellence « un moment de plaisir, qui nous emmène dans un moment de complexité. Il n’y a pas un arôme typique. Un rosé sera un grand vin, quand il apporte… un grand plaisir ! » Note d’agrumes ou d’épices, fraîcheur, fruité gourmand et légèrement acidulé, sucre résiduel… font partie de la palette de saveurs possibles d’un excellent rosé. « Ce sera quelque chose de plus opulent, de gras.

Avec une grande viscosité, une belle longueur en bouche. Un grand vin doit tenir un rôle majeur sur la table. » Elle surprend en suggérant de ne pas les servir trop frais ! « Le froid inhibe les arômes. Si on glace le rosé, on tue la complexité du goût. Il faut lui laisser l’opportunité de développer sa richesse aromatique. » Avec quoi accorder le rosé ? Il lui semble possible de tenter des alliances étonnantes : une salade de fruits, un carré d’agneau… Jean Natoli suggère même « l’oeuf », véritable casse-tête des sommeliers. « Le rosé n’a pas encore l’image de vin gastronomique, mais on nous en demande de plus en plus, assure Nathalie Guiltat. Quand on a envie que cela ne tape pa trop la tête, c’est parfait.

C’est le vin passe-partout ! » Pour voir la vie en rosé…


TEXTE GWENAËL CADORET

PHOTOS GUILHEM CANAL