Cuisiner, c’est se livrer soi-même.
Depuis 2009, c’est le nouveau roi du plateau. Chef du restaurant le Suquet, à Laguiole, Sébastien Bras, fils de l’illustre Michel Bras, a réussi une prouesse rare : maintenir les trois étoiles glanées par son père. Fort de ses racines aubraciennes, ce passionné propose une cuisine du vivant, sans cesse réinventée, où l’herbe sauvage est l’ingrédient de choix.
Sébastien Bras, quand on pense à la gastronomie aveyronnaise, on imagine l’aligot et la saucisse du pays… On a raison ?
(Rires) C’est une vision un peu réductrice. Vous évoquez la gastronomie traditionnelle aveyronnaise. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Il y a suffisamment de belles tables, qui proposent une cuisine contemporaine. Quand je vais au marché de Rodez, je croise de nombreux chefs. On a tous grandi avec les mêmes racines paysannes. Mais nous avons su faire évoluer, ensemble, la gastronomie aveyronnaise.
Il y a donc une nouvelle cuisine aveyronnaise ?
Bien sûr. Mais elle n’est pas déconnectée de nos racines. Je suis né dans l’Aubrac. Et l’Aubrac, c’est encore différent de l’Aveyron ! J’aime faire des clins d’œil à un village, un paysage, dans la composition des assiettes. Par exemple, je vais utiliser des olives noires pour évoquer un mur en pierres sèches. Ce sont des références poétiques, artistiques, à ce territoire qui nous inspire.
Votre père, Michel Bras, a sans doute contribué à ce renouveau. C’était un pionnier…
Il est clair qu’à l’époque, quand mes parents ont fait le choix de rester exercer leur métier sur le plateau de l’Aubrac, il fallait un sacré culot. 3 habitants au km2, les grandes villes à deux heures de route… Exister ici, au cœur de l’Aubrac, c’était un challenge pas facile. Cela paraissait sans doute un peu incroyable. Mais dès que cela a marché, cela a donné du courage à d’autres. Mes parents ont montré qu’on pouvait exister, porter un grand restaurant, dans ce territoire. Sans faire de concessions aux modes, aux qu’en-dira-t-on. Le secret, c’est d’aller au bout de ses idées.
On dit souvent que la bonne cuisine repose sur de bons produits. Or, en Aveyron, vous semblez gâtés…
On arrive à avoir une palette de produits locaux intéressante. Du bœuf de l’Aubrac, de l’agneau d’Aveyron, des légumes de Decazeville et la vallée du Lot. Mon père a fait un immense travail de sourcing, pour identifier des produits locaux. Je m’appuie encore sur ses recherches.
Et vous cueillez toujours vos aromates sur place !
C’est encore une fois une grande chance. Mes parents ont investi dans la création d’un jardin aromatique. Tous les matins, c’est donc la grosse cueillette. On peut cueillir plus de 200 herbes, fleurs et plantes. C’est un véritable jardin du monde, avec des herbes d’Asie, d’Amérique du Sud…
Ce qui étonne, c’est que votre carte change sans cesse. Pourquoi ?
Je considère que l’on fait une cuisine du vivant. Il n’y a rien de plus ennuyeux qu’une cuisine dont les idées, les plats, sont figés. Ici, je réimprime les menus midi et soir ! En fonction de la cueillette, du retour de marché, des envies, du temps.
C’est au cuisinier à s’adapter à la nature. C’est très important. Ce qu’on fait aujourd’hui, on ne le faisait pas il y a cinq ans. Cuisiner, c’est se livrer soi-même. Raconter des émotions, des rencontres.
Vous avez succédé avec brio à votre père. Quel est votre secret ?
Vous savez, je suis né à Laguiole. Les racines de ma région, je les ai en moi. Plus jeune, je passais mes week-ends chez nos grands-parents agriculteurs. J’ai donc toujours été proche du monde agricole, des produits. J’ai d’ailleurs un attachement particulier avec le thym. Les fleurs, les herbes, c’est notre ligne de conduite végétale. Notre signature. On est ancré dans cette identité. Mais on fait également des clins d’œil au territoire. C’est un peu l’Aubrac dans l’assiette.
Que pensez-vous de la gastronomie montpelliéraine ?
Je ne la connais pas beaucoup… Je connais les frères Pourcel, Eric Cellier, Le Pastis, car c’est un ancien de chez nous. Pour autant, je pense que c’est un territoire avec une plus grande richesse que le nôtre. On peut s’inspirer de la mer, du climat… Je peux imaginer, vu de mon lointain Aubrac, des ressources incroyables. À Montpellier, on peut lier les univers de la terre et la mer. C’est un monde à faire découvrir.
Propos receuillis par Gwenaël Cadoret
Photo : Sébastien Bras / JL Bellurget