Questionnaire épicurien Aavec Emmanuel Clausel du Domaine UMA

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Niché au cœur de Valflaunès, le domaine UMA incarne un art de vivre singulier, celui où la nature et le temps se rejoignent pour offrir des moments suspendus. Emmanuel Clausel, guidé par des souvenirs d’enfance et un profond respect pour la terre, y sculpte chaque parcelle comme un architecte de la vigne. Aux côtés de Karen, œnologue renommée, il façonne des cuvées où l’acidité et la fraîcheur rivalisent de créativité. Une invitation à goûter non seulement un vin, mais un instant hors du temps.

Qu’est-ce que le concept d’Uma ?

L’idée, c’était de se dire que l’on voulait offrir aux gens la possibilité de venir vivre un moment un peu hors du temps, dans un domaine. Comme moi je l’ai vécu dans mon enfance. Je dis souvent que ce n’est pas “l’art de vivre à la française”, c’est “l’art de vivre au domaine”. Nous avons un petit restaurant, et ici on ne chasse pas le client au second service. On prend le temps. Et cette relation au temps, c’est quelque chose que l’on retrouve dans la vigne.

Comment avez-vous construit votre gamme de vin ?

Elle a pour ambition de tout accompagner. Du barbecue autour de la piscine avec les copains, jusqu’au repas de Noël avec la grand-mère. On fait du vin orange, des bulles, du gin aussi. Karen a une grande spécialité, c’est la première en France. Cela fait 25 ans qu’elle produit du vin orange. Des assemblages improbables, comme ici du Carignan Négrette, un cépage qui vient de Toulouse. Nous avons beaucoup de cépages blancs. Ils représentent un tiers de la production aujourd’hui, je crois que l’on va arriver à 40% de blancs.

Pourquoi le vin ?

L’histoire remonte à l’épiphanie de mes six ans. On m’a habillé un 6 janvier en culotte courte, très chic, pour aller chez mes grands-parents. Ils possédaient une propriété à Candillargues. J’ai beaucoup de cousins. Ma grand-mère avait fait faire une galette des rois avec 18 fèves, une pour chacun de ses petits-enfants. Et j’ai ce souvenir-là. C’est ma madeleine de Proust, la frangipane. Et celui de la promenade dans les vergers et dans les vignes de mon grand-père. Il avait gardé quelques hectares. L’envie d’avoir un domaine me vient de cette vie familiale où l’on avait un tempo super lent. On se retrouvait à 11 heures et on se quittait à pas d’heure. La gastronomie, le vin, le retour à la terre m’ont toujours intéressé.

Vous avez fait carrière dans l’immobilier…

Vingt-cinq ans. J’ai eu la chance d’avoir réussi et d’avoir la possibilité de réinvestir une partie de ce que j’ai gagné dans quelque chose qui fasse sens pour moi. Et j’arrive même à faire un parallèle avec l’immobilier. La relation que j’ai avec Karen, notre œnologue, est la même que celle que j’avais avec un architecte. On a un terrain, qu’est-ce que l’on peut en faire ? Et on détermine les moyens que l’on met à disposition soit de l’architecte, soit de l’œnologue, pour en tirer la quintessence. Et la durée de vie des projets, elle est la même. Aujourd’hui, quand tu montes un projet immobilier, ce n’est pas un truc que tu fais en claquant des doigts. Ce sont trois, quatre, cinq ans. On a pour la première fois récolté une parcelle que nous avons plantée il y a trois ans. C’est le même travail.

Quel est votre premier souvenir lié au vin ?

Mon père nous a fait goûter des vins très jeunes. Pour la petite anecdote, j’ai retrouvé pendant le Covid mon carnet de santé. Et je fais partie de la dernière génération pour laquelle il est marqué que donner de l’alcool à des nourrissons n’est pas interdit, mais qu’il ne faut pas en abuser. On ne se souvient pas, mais ce n’est que depuis la fin des années 1950 qu’il n’y a plus d’alcool à la cantine… Mais oui, j’ai des souvenirs à 13-14 ans de Saint-Chinian, de Faugères. J’ai toujours aimé. Mes filles ont le même âge aujourd’hui. J’en ai une qui est totalement réfractaire, l’autre qui aime bien sentir, qui goûte légèrement, mais elle commence à développer un vrai nez. D’ailleurs, je crois que j’ai toujours eu un nez, plus qu’une bouche.

Quel serait votre meilleur souvenir par rapport au vin ?

Un vin de Jean-François Ganevat, il y a quelques années, à la montagne. Il se trouve que j’y habite quatre mois par an. Je garderai toute ma vie un souvenir de ce jour-là. C’était un dîner en amoureux. Et ce vin était exceptionnel.

Un bon repas s’accompagne-t-il d’une bonne bouteille ?

Oui, systématiquement. Cela va ensemble. Je suis de plus en plus sur les blancs. Ça me parle plus. Je trouve que l’on a une expression du terroir qui est très présente dans les blancs. Ici, ce qui est particulier, c’est que l’on a un terroir qui est très très frais. Il est très humide. Je ne dis pas que le rouge ne m’intéresse pas. On a la chance d’avoir une appellation extrêmement porteuse, extrêmement reconnue. Et il faut participer à ça. Mais mon goût personnel me porte sur les blancs parce que j’aime le côté très minéral que l’on peut retrouver et j’aime l’acidité. Si je pouvais faire des repas uniquement sur l’acidité, je serais le plus heureux des hommes.

Est-ce que vous cuisinez ?

Oui. Le seul moment où je bois du vin, sans être à table, c’est quand je cuisine. J’ouvre une bouteille, et mon plat va évoluer au fur et à mesure en fonction de la bouteille que j’ai ouverte.

Qu’est-ce qu’un bon vin, finalement ?

D’abord, il faut qu’il soit bon quand on ouvre la bouteille. Un vin de garde, ça ne veut pas dire grand-chose pour moi. Je crois que l’on ne garde plus les vins chez soi. Moi j’ai envie qu’il soit bon le jour où j’ouvre la bouteille. Me dire qu’il faut que je le garde pendant cinq-dix ans, ça ne m’émeut pas plus que ça. Il doit offrir de la complexité. Je cherche la fraîcheur et l’acidité. C’est la difficulté des vins du Languedoc, naturellement ils n’ont pas, ou peu, d’acidité. C’est tout le travail que l’on fait avec Karen. C’est trouver les contenants qui permettent de faire de l’élevage tout en gardant de l’acidité. Ici, il n’y a quasiment pas de bois et c’est pour cette raison.

Vous n’êtes pas collectionneur, du coup…

Non. Je suis pour le vin de partage. C’est comme un bon repas, ça se partage. J’aime le vin dont on ne parle pas abyssalement. J’ai organisé un dîner la semaine dernière qui a été extraordinaire avec des copains, ici, au domaine. On a passé un super moment et à la fin tout le monde m’a dit que le vin était bon. Et là je me suis dit que j’avais gagné parce qu’ils s’en sont souvenus une demi-heure après la fin du repas. Avec mes enfants, nous sommes allés chez le chef Clément Bouvier l’année dernière. Deux heures après, dans la voiture, mes filles m’ont dit “papa, c’était incroyable”. Et c’est ça le truc. Sur le moment, j’ai même pensé qu’elles s’ennuyaient. C’est peut-être cela le secret, créer une émotion dont on se souvient.

Finalement, c’est quand même subjectif, le vin…

Chacun a son ressenti. La première année où l’on a créé le domaine, on a fait un repas avec treize dégustateurs professionnels. À la fin, je leur ai demandé quel vin était leur favori. Pas un seul n’a répondu la même chose. Je crois que même d’un jour à l’autre, on ne goûte pas de la même manière.

Parlez-nous de votre restaurant…

Il est ouvert d’avril à septembre. L’hiver, on ouvre nos deux espaces de dégustation du vendredi au dimanche. Les gens dînent face aux chais. L’idée, c’est de pouvoir offrir une expérience. On a deux fois douze personnes qui peuvent venir dîner ici, mais dans un lieu totalement atypique et où l’on découvre au final le monde du vin, de l’intérieur. Notre chef Pierre Tourailles y compose une cuisine de saison. L’idée est d’avoir une carte ultra réduite et de trouver en face à chaque fois l’accord avec les vins. De toujours faire cette corrélation entre les vins du domaine et le terroir dans lequel on est.

Si vous deviez faire déguster une cuvée du domaine, de laquelle s’agirait-il ?

Hommage Blanc. C’est une cuvée anglaise. C’est du Vermentino avec un tout petit peu de Syrah. C’est, je crois, la quintessence de ce que l’on cherche à faire sur ce travail sur l’acidité, sur la fraîcheur et sur la minéralité. Ou bien notre fameux rosé rouge qui nous fait connaître dans le monde de la gastronomie. C’est une espèce de passe-partout de la gastronomie.

Pourquoi “Uma” ?

C’est une déesse hindoue. C’est la déesse de la lumière, de l’énergie et de la créativité. On a une luminosité ici qui est complètement différente. On voulait que, lorsqu’on pose une bouteille sur une table, cela apporte une forme de luminosité. L’énergie, c’est le climat, ici. Il y a un climat ultra-violent. En janvier ici, le matin à 7 heures, il fait moins 8 degrés. Et dans la même journée, il va faire 22. Et la créativité, c’est tout ce travail que l’on s’autorise, qu’il s’agisse des cépages auxquels on ne s’attend pas forcément dans la région, que l’on vient implanter, ou de la forme de la bouteille, ou encore de l’architecture des bâtiments… ce sont tous ces éléments.

Bio ou raisonné ?

On est en bio. Et ce n’est pas suffisant. Parce que le bio a des limites. Pour autant, je ne suis pas un adepte des vins naturels. En revanche, il y a un vrai sujet dans le monde de la vigne, c’est que l’on est l’industrie agricole la plus polluante. Pourquoi ? Ce sont les bouteilles. Donc il y a tout un sujet, sur la manière dont, en changeant nos pratiques à la vigne, on est capable de garder la bouteille. Nous, nous avons réduit son poids. Une bouteille standard de vin, c’est à peu près 800 grammes. Chez nous, elle fait 625 grammes. Naturellement, un hectare de vigne emprisonne 1 % du carbone qui est dans l’air. Si nous sommes capables de changer nos pratiques, de dire que nous pouvons faire en sorte que la terre emprisonne plus de carbone, nous arrivons à 3 %. Donc nous réalisons 300 % d’augmentation sur le travail sur le carbone. Ça, c’est un travail auquel je crois, c’est un travail qui est long à mettre en œuvre parce qu’il nécessite de changer complètement notre façon de faire. Par exemple, nous avons fait le choix d’enherber les sols. Cela veut dire que l’on a une autre façon de travailler les sols. Ce n’est pas un truc que l’on fait en claquant des doigts. Il faut plusieurs années pour arriver à ce résultat. On a une parcelle sur laquelle on plantera seulement en 2026. On fera de l’agroforesterie. Aujourd’hui on ne sait pas faire cohabiter deux notions. Le climat et la santé. Le bio traite de la santé. Par contre, il va contre le climat. Quand on est dans l’agriculture conventionnelle, on fait quatre traitements. C’est-à-dire que les tracteurs font quatre fois le tour de la propriété. En bio, cette année, on l’a fait seize fois. Sur le plan climatique, on est désastreux. Mais l’environnement, ce sont ces deux notions : la santé, le climat.