Sur les hauteurs de Loupian, entre pins et garrigue, une matinée de cueillette a réuni des passionnés de nature et de gastronomie. Olivier Grimaud, disciple de Laouari Belkhouane, partage son savoir aux côtés de Clément Gely et d’autres artisans du vivant. Une rencontre placée sous le signe du terroir, du bon sens et de la transmission.
Il est 9h30, quelque part entre garrigue et ciel ouvert. L’air sent la résine des pins, la promesse du printemps. Ici, sur les hauteurs de Loupian, on avance à pas feutrés, l’œil aux aguets. Il faut savoir regarder pour voir, apprendre à lire ce que la terre a à offrir. Ce matin, nous suivons des passeurs d’un autre temps, ceux qui écoutent les bruissements du sol, ceux qui devinent la richesse sous les feuilles mortes. Olivier Grimaud, cueilleur professionnel, nous ouvre la voie.
À ses côtés, Clément Gely, chef du restaurant VR à Vin à Montpellier, Catherine Antunes, amoureuse des plantes et du terroir, et Patrick Desplats, vigneron iconoclaste. Une fratrie improvisée, unie par un même respect du vivant. La cueillette commence. L’asperge sauvage se cache, joue à la devinette avec ceux qui la traquent. “Il faut être attentif, voir la tige fine qui se confond avec le paysage”, souffle Olivier, concentré. Il s’accroupit, cueille avec un geste précis, respectueux. Pas d’arrachage brutal, ici, on prend soin. Au fil des pas, des fleurs d’amandier s’invitent dans nos mains, suivies par de timides salsifis sauvages. Chaque trouvaille est une victoire sur l’oubli, un rappel que la nature regorge de merveilles ignorées. Olivier n’a pas toujours eu les mains dans la terre. “J’étais mécanicien, puis j’ai travaillé dans le bâtiment avant de devenir restaurateur à Bouzigues… Et puis, un jour, j’ai rencontré Laouari. Il m’a emmené en cueillette. J’ai compris que je n’avais plus envie de faire autre chose.”
Depuis, il arpente les forêts, les sous-bois, les talus oubliés. Il ne cherche pas seulement à cueillir, il veut comprendre, apprendre, transmettre. Et surtout, il veut s’adapter. Car la cueillette, aussi noble soit-elle, ne remplit pas toujours l’assiette. “Nous avons pour projet de cultiver plusieurs hectares pour la fleur de courgette.” Un produit délicat, fragile mais particulièrement prisé par les chefs. “La fleur, c’est l’instant. Il faut la récolter au bon moment.”
Une autre forme de cueillette, plus domestiquée, mais toujours dictée par le rythme naturel. Il imagine déjà les alliances avec d’autres produits de la garrigue, la façon dont les chefs pourront les sublimer. Et puis, il y a l’huile. Une idée folle, née de discussions nocturnes avec Laouari. “On s’est demandé : et si l’on faisait de l’huile d’olive comme un vin de glace ?” Le pari est insensé. Prendre des olives sauvages, les congeler, puis les presser. “On a amené 500 kilos d’olives gelées au moulin. Normalement, on chauffe la pâte à 26 degrés, mais là, on n’a pas dépassé 13. Le rendement était faible, mais l’huile… incroyable.” Un goût inédit, remarquablement doux mais saisissant. Une huile qui raconte une histoire, un territoire, une intuition. Il en parle comme d’un élixir rare, une essence de la Méditerranée capturée dans une bouteille.
À quelques pas, Catherine nous invite à venir observer sa trouvaille, un salsifis sauvage. Originaire de la région, elle a grandi dans une famille où la cuisine et la transmission des savoirs étaient omniprésentes. “Toutes les plantes, c’est ma grand-mère qui me les a fait connaître”, raconte-t-elle avec une pointe de nostalgie. Une passion qui l’a suivie toute sa vie. “Les plantes que l’on considère comme de mauvaises herbes sont en réalité comestibles et souvent très intéressantes. Les gens ne le savent pas. Pourtant devant leur porte, même en ville, ils ont de quoi manger. Pendant le confinement, j’ai fait des vidéos là-dessus. Je sortais dans mon jardin et je leur montrais. Ils me disaient : ‘Mais j’en ai plein, je n’arrête pas de les arracher !’” Ma réponse est toujours la même. “Pour se débarrasser des mauvaises herbes, il faut les manger !” Patrick, lui, s’émerveille devant le romarin en fleur.
Vigneron à contre-courant, il vit dans ses bois en Anjou, hors du monde mais connecté à l’essentiel. Son vin s’arrache au Japon, en Californie et se vend à prix d’or. “La vigne, elle sait ce qu’elle fait. Faut juste la laisser tranquille.” Sa cave Physallis, une cathédrale de terre et de paille, est une ode au bon sens paysan qui vient d’être récompensée d’un prix d’architecture. Pas d’intrants, pas d’artifices. Juste du temps, de la patience, et une foi inébranlable en la terre. Midi approche. Nos paniers sont pleins. Asperges, fleurs, feuilles oubliées.
Direction Bouzigues, chez Catherine. Son jardin est un poème, un labyrinthe d’agrumes, de plantes médicinales, d’odeurs entêtantes. La cuisine s’anime. Clément s’affaire autour des asperges sauvages, qui se glissent dans une omelette dorée, et du maquereau. Catherine, elle, prépare sa fameuse salade de fleurs : violettes, nombrils-de-Vénus, calendulas… “Un plat, c’est d’abord une émotion”, murmure-t-elle. Elle parle de son enfance dans le petit restaurant familial où son père préparait les moules farcies et les encornets sur un simple réchaud. “25 m², 120 couverts par jour. Un plat, un dessert, tout maison”, dit-elle avec un sourire nostalgique. Cette école du geste précis, du bon sens culinaire, elle l’a emportée partout : aux États-Unis, dans la mode au Portugal, dans le maraîchage. À Bouzigues dans le restaurant qu’elle a tenu avec sa sœur. Et puis il y a eu son idée de génie. “Les grosses huîtres, personne n’en voulait. On les jetait.” Elle refuse ce gaspillage. Elle crée des rillettes, des crèmes, des beignets… même une brandade d’huîtres. Elle a aussi breveté un sel d’huître, qui sublime les poissons et les sauces. “Ce n’est pas qu’une question de cuisine, c’est également une question de transmission. Tout a une valeur, avec un peu de créativité, on peut tout faire.”
Autour de la table, les conversations se tissent. Patrick ouvre l’une de ses bouteilles. Un vin naturel, brut, vivant. Beaucoup d’acidité naturelle. Une couleur indescriptible. La perte de repère est totale. Mais la dégustation inoubliable. Il parle de sa vigne comme d’un organisme vivant. “Quand un arbre pousse à côté d’elle, elle envoie un sarment sous la terre pour aller le rejoindre. Elle se régénère toute seule.” Chez lui, pas de rangs stricts. La vigne grimpe sur les frênes, s’entrelace avec les arbustes. “J’ai toujours eu en tête l’énergie de la terre. L’énergie des arbres, des insectes, de la lune… Tout joue sur le vin.”
Le repas se prolonge, bercé par les échanges. Le temps semble suspendu. Chaque saveur est une histoire, chaque verre de vin un fragment de mémoire. Clément, attentif, observe. Il sait que ce qui se joue là est plus qu’un simple repas. C’est une leçon silencieuse, un hommage à la terre, une transmission qui se passe de mots. Quand vient l’heure du départ, je me rends compte que la nature nous a beaucoup donné aujourd’hui. Il faudra le lui rendre demain.