Producteurs : Laurent Pezzotti, gardien de l’étang de l’Or

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L’étang de l’Or ne se résume pas à un paysage. C’est un écosystème fragile où cohabitent dorades, anguilles, oiseaux migrateurs et pêcheurs. Parmi ces derniers, Laurent Pezzotti veille sur ces eaux avec la rigueur d’un homme qui a choisi la nature comme bureau. Pêcheur par vocation et militant du quotidien, il défend une pêche responsable, le maintien des traditions, et la transmission d’un savoir-faire menacé. Aux côtés de Jacques Mazerand, chef local engagé, il s’investit dans des projets valorisant ces richesses lagunaires.

Quand on rencontre Laurent Pezzotti, le premier choc est sa sincérité brute. Pas de faux-semblants ni de phrases enjolivées. Ce fils adoptif de l’étang de l’Or, après des études en écologie, a choisi de délaisser les bureaux pour la barque. “La pêche, ce n’est pas juste attraper du poisson. C’est comprendre l’étang, les cycles de vie, les caprices du vent et de l’eau. Si tu ne respectes pas ça, tu rates tout”. Depuis treize ans, il sillonne la lagune avec une seule idée en tête : prélever sans piller, maintenir l’équilibre fragile entre exploitation et préservation. Laurent pratique surtout la pêche à l’anguille, poisson mystérieux dont la migration jusqu’à la mer des Sargasses force l’admiration. “C’est une survivante. Elle parcourt près de 6 000 kilomètres, à contre-courant, sans manger. Quand tu sais ça, tu la cuisines différemment”.

En Méditerranée, la pêche de l’anguille est ultra réglementée : licences rares, taille des barques limitée, captures strictement contrôlées. “Sur l’étang de l’Or, on est onze pêcheurs. En 1947, ils étaient plus de cent. La ressource a fondu, il faut être vigilant”. En plus de ses prises, Laurent doit faire face à d’autres défis : “Le crabe bleu, on ne s’y attendait pas. Il perfore les filets, rendant la pêche plus compliquée. On passe notre temps à rafistoler”. Membre actif de la prud’homie de Palavas, dont il est le second prud’homme, Laurent incarne ce modèle de gestion collective typiquement méditerranéen. “La prud’homie, c’est plus qu’une institution. C’est un engagement. On veille sur les zones de pêche, on discute avec les scientifiques. Ici, ce sont les pêcheurs qui gèrent les ressources, pas l’inverse”

“Entre savoir-faire
ancestral et engagement
écologique, le pêcheur et
la lagune ne font qu’un”.

Cette organisation permet de protéger des écosystèmes aussi précieux que vulnérables. “Quand l’étang va bien, les poissons sont là, la pêche est bonne. Ça paraît simple, mais c’est tout un équilibre”. Pour que ce lien entre lagune et assiette soit plus visible, Laurent s’est rapproché de certains chefs et notamment de Jacques Mazerand. “Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire derrière le produit”, confie le chef. “L’idée, c’est de reconnecter les gens avec ce qu’ils mangent, de proposer des recettes simples et locales. L’anguille fumée, c’est une merveille. Il faut juste savoir la travailler, la respecter”

Pour Laurent, la valorisation passe aussi par la pédagogie. “Les jeunes ne connaissent plus les produits de la mer. On a besoin de redonner envie, de montrer que derrière un filet d’anguille, il y a des heures de boulot, des gestes appris, un environnement qu’il faut préserver”. Sur son bateau de cinq mètres, il relève ses capéchades — ces nasses artisanales permettant de capturer le poisson vivant — et rejette les plus petits à l’eau. “Faut penser à demain. Je ne garde que les gros spécimens. Ça se vend mieux et c’est mieux pour la ressource”. L’étang, lui, vit au rythme de ces gestes.

Les roselières frémissent, les cormorans plongent, les dorades grossissent à vue d’œil — leur croissance est parmi les plus rapides d’Europe. “Ici, tout est lié. L’eau salée rencontre l’eau douce, les poissons se nourrissent, les oiseaux migrateurs font halte. Si tu touches à un maillon, tout se dérègle”.

Ce respect de la nature, Laurent le transmet aussi en valorisant l’anguille. Poisson jadis populaire, désormais boudé, elle mérite selon lui qu’on la redécouvre. Pour aller plus loin, il planche avec d’autres pêcheurs, et notamment le chef Paul Courtaux, sur la création d’une conserverie locale et responsable afin de maîtriser l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement de la matière première à la commercialisation. “On a encore du boulot, mais ça vaut le coup. On ne défend pas qu’un métier, on défend un territoire, une culture”. Lorsque l’on repart de l’étang, le vent du soir se lève. L’eau clapote doucement, les ombres s’allongent sur la surface paisible. Ici, la nature parle à qui sait l’écouter. Laurent Pezzotti, lui, l’écoute depuis longtemps. Et grâce à des alliés comme Jacques Mazerand, son message résonne plus loin que les rives de la lagune.