Si le nom vous évoque forcément quelque chose, c’est parce que depuis 1844, la famille Cairel est une référence en matière de vin dans la région. C’est Jacques qui désormais veille à la destinée de cet héritage familial. Sincère et authentique, l’homme est un amoureux des grands vins mais aussi des perles plus confidentielles dénichées sur les routes de France. À 69 ans, il affiche sans ambages son goût pour les bonnes choses, question de passion et d’envie de partage. Pour Chefs d’Oc magazine, il n’a pas hésité à mouiller le tablier en compagnie de Laurent et Jacques Pourcel dans les cuisines du Jardin des Sens.
Qu’est-ce que vous nous préparez ?
Laurent Pourcel : De la baudroie avec une sauce au vin rouge, un peu comme une assiette du pêcheur mais avec des gambas et des légumes.
Vous vous connaissez depuis longtemps…
Jacques Cairel : C’est vrai. Notre rencontre remonte à l’ouverture du premier Jardin des Sens à la fin des années 1980 dans le cadre de nos activités professionnelles. Et puis rapidement nous nous sommes liés d’amitié. Nous avons partagé beaucoup de choses, nous sommes très proches. Je suis assez admiratif de voir à quel point, tout en ayant atteint un tel niveau, ils ont réussi à rester simples, abordables, gentils, fidèles à leurs valeurs… Ils sont terribles ! Même quand ils viennent manger à la maison, ils cuisinent. La dernière fois, ils sont venus avec des Saint-Jacques. En une minute ils ont préparé quelque chose de dingue à l’orange confite je crois, ce sont des magiciens.
Dans vos deux histoires familiales, le vin tient une place très importante…
Jacques Cairel : Laurent et Jacques sont issus d’une famille de vignerons et dans la mienne, on est négociants depuis très longtemps. Mes arrière-grands-parents sont dans le négoce depuis le XIXe siècle ici à Montpellier. Au début de l’histoire, on vendangeait chez nous et on recevait des vins qu’on allait chercher en propriété sur le Languedoc. Mais comme les degrés étaient très faibles à l’époque, on faisait rentrer des vins d’Algérie. Les assemblages se faisaient dans de grands foudres de 300 hectolitres puis on les distribuait. Au départ c’était avec des chevaux puis il y a eu le chemin de fer, puis les camions. L’activité a pris un tournant dans les années 1960 avec l’arrivée des bouteilles.
Vous souvenez-vous du moment où vous avez choisi de faire perdurer l’héritage familial ?
Jacques Cairel : Il n’y a pas vraiment eu de moment. J’ai été élevé dans le vin, j’ai toujours participé et surtout j’ai toujours aimé cela. J’ai passé un BAC Technique Agricole, puis j’ai commencé à travailler comme chauffeur-livreur chez mon frère. Une chose en entraînant une autre, mon père m’a envoyé sur la Côte d’Azur vendre du Listel. J’avais la vingtaine. Et voilà, c’était parti.
Vous avez été pionnier sur le concept de caviste dans les années 1990 à Montpellier…
Jacques Cairel : Je crois en effet que nous avons été les premiers à Montpellier à proposer ce genre de format. Le métier de caviste tel qu’on le connaît aujourd’hui n’existait pas. Ce n’était pas un métier, ça l’est devenu. Quand je suis revenu de Nice en 1993, on me devait tellement d’argent que je me suis dit « il faut que je monte un cash. Je veux bien continuer à vendre du vin, mais en cash. » Tout est parti de là.
Aujourd’hui qu’est-ce que vous aimez dans le vin ?
Jacques Cairel : Ce qui me touche le plus, c’est un vin facile à boire, nature, sans excès de quoi que ce soit. Des vins que l’on pourrait qualifier de tous les jours.
Avec le recul, comment jugez-vous l’évolution du marché français ?
Jacques Cairel : Dans l’ensemble, elle est particulièrement qualitative. Auparavant lorsqu’on achetait des vins, il fallait qu’ils soient bons. Maintenant on a tellement de producteurs, qu’il faut qu’ils soient très bons. Et sur toutes les régions. Le Beaujolais… l’Alsace… c’est magnifique. Le Bordelais reste le même qu’avant, mais il était déjà de haut niveau. En Bourgogne, les vins sont devenus plus faciles à boire, très agréables, très souples. Pareil en vallée du Rhône. Les nouvelles générations de vignerons ont apporté une idée nouvelle, plus moderne de la vinification. Avec les mêmes vignes, les mêmes terroirs, elles produisent des vins plus fins, sur le fruit.
Quel est le terroir qui mériterait selon vous que l’on s’y attarde davantage ?
Jacques Cairel : Les vins du Jura. Et puis, la Provence. Le travail est très bon en rosé bien sûr, mais sur les rouges aussi. La Corse, c’est sublime. La Loire, c’est magnifique. Il se passe quelque chose d’intéressant en Champagne également.
Vin et gastronomie, qu’est-ce que cela évoque, chez vous ?
Jacques Cairel : Je dirais que c’est indissociable. L’un appelle l’autre. Et il faut saluer le travail des sommeliers. Ils proposent des accords très fins. Il y a un échange de goûts qui est très intéressant. Les spiritueux aussi ont très bien évolué. Le saké par exemple avec la cuisine, ça marche très bien.
On l’aura compris à vous voir, vous aimez cuisiner…
Jacques Cairel : Ah oui, j’adore ça, c’est mon moment de détente. Je lis plein de choses et j’adore essayer de nouvelles recettes. La cuisine, ce sont des souvenirs journaliers de bonheur permanent. La gastronomie, comme le vin d’ailleurs, c’est un métier de découverte et d’évolution constantes.
Il se passe toujours quelque chose.
Vous avez l’air de vous y connaître en matière de poisson ! vous savez lever un filet !Jacques Cairel : J’adore travailler le poisson.
Jacques Pourcel : Ta spécialité, c’est la bourride de baudroie et l’eau sel ?
Jacques Cairel : C’est le plat du pauvre sétois. Quand les pêcheurs rentraient, il restait toujours des petits poissons comme des maquereaux. Ils prenaient de l’eau de mer qu’ils faisaient bouillir, les poissons, quatre légumes avec une sauce à base d’huile d’olive, d’ail et de vinaigre chaud et voilà.
N’avez-vous jamais eu envie d’ouvrir un restaurant ?
Jacques Cairel : Si ! (Rires) Mais je serais condamné à perdre de l’argent, j’ai trop de copains ! C’est comme d’ouvrir un bar à vin, je me le suis interdit !
Et faire du vin ?
Jacques Cairel : J’ai un copain qui disait « pour faire une petite fortune dans la viticulture, il faut démarrer avec une grosse fortune » (Rires). Cela m’aurait plu, mais on ne peut pas tout faire.
Êtes-vous encore impressionné en dégustation ?
Jacques Cairel : Bien sûr ! Par certaines cuvées du Languedoc notamment. Je dois l’avouer, je suis un petit peu amoureux du travail de Marlène Soria du Domaine Peyre Rose. C’est mon amie depuis trente ans. C’est une femme admirable, pleine de courage et d’amour pour son métier. C’est un pur bonheur de déguster son vin surtout quand on connaît son travail à la vigne et à la cave.