Mondialisation oblige, les mauvais produits, pas chers, venus de loin n’ont jamais été autant accessibles. Pourtant, depuis plusieurs années autour de Montpellier, producteurs, restaurateurs et particuliers privilégient les circuits de distribution courts et chacun y trouve son compte. Ou comment manger une pomme bio récoltée à moins de 100 km de chez soi est devenu un acte militant. Enquête
DÉVORER SON RÉSEAU
La pluie incessante s’abat sur les tôles de l’abri de jardin. Le moteur de la chambre froide ronronne, les cagettes s’entassent par dizaines. Au fin fond du Plan des 4 seigneurs à Montpellier, Julien Barrau, 44 ans, trie les pommes qu’il vient de ramener d’Arles. Aujourd’hui comme souvent, le fondateur de Locavore est content. « A cette période de l’année, il n’y a que le Mas Daussan en Camargue qui fait des pommes bio comme je les aime, mes clients vont se régaler ». Ariane, Cripps Pink, Daliente, Golden, Goldrush, Opal et Story finiront toutes dans les paniers de Julien, estampillées Label AB (agriculture biologique), Demeter (Agriculture biodynamique), et Bio Cohérence.
Cet ancien commercial, membre repenti d’un grand Groupe alimentaire, s’est reconverti depuis 2010 dans le « circuit bio local ». « Pour la santé, la planète et le goût. », tout simplement.
Sa mission ? Sillonner la région pour dénicher des produits bio, les présenter sous forme de panier, et les vendre en se faisant une marge aussi ridicule qu’un chariot vide de grande surface.
Le principe est simple. Le weekend, Julien envoie un mail à des consommateurs avertis pour proposer ses services. Quelques recettes, des clins d’œil aux copains, une liste de produits au détail, et les points de dépôt accompagnés d’une date limite de réservation. Par exemple, pour un panier déposé à l’épicerie en vrac Day By Day (rue St Guilhem) le mardi entre 15 h et 19 h, il faut réserver avant le lundi 17h. Cette semaine, pour 12 euros, le consommateur aura droit à 1,2 kg de pommes, un chou fleur, une salade batavia, et plus d’un kilo de pommes de terre. Voilà un panier bio sur vitaminé issu de petits producteurs locaux en circuit court. « Je ne prétends pas sauver les agriculteurs, confie Julien, mais je participe à leur bien être financier. Aujourd’hui, beaucoup d’actions de promotion sont faites mais ça ne suffit pas, il faut du cash. »
Selon lui, pas moins de 80 % des produits bio sont importés. « Manger du kiwi bio de Nouvelle-Zélande, ça n’a aucun sens. Le Bio n’est plus suffisant. Il faut s’inscrire dans une démarche globale. Les kiwis, par exemple, peuvent être produits sur Sérignan, tout est possible ! » Ce message, une centaine d’adeptes du panier bio le comprennent chaque semaine. Et lorsque cette exigence du « manger local » se retrouve dans les assiettes de restaurants, la lutte s’organise.
UNE SAISON POUR TOUT
Depuis les premiers pas de Locavore il y a maintenant sept ans, le chef Guillaume Leclère comprend la démarche. « C’est un modèle économique viable pour le restaurateur, le producteur et le consommateur. Il faut respecter les circuits courts si on veut prendre du plaisir à travailler des produits de qualité, que les producteurs continuent de vivre et que nos clients puissent manger sainement. »
Concrètement, dans les assiettes servies dans son restaurant, comment le chef intègre cette « contrainte » ? « Je pars du principe qu’il ne faut pas dénaturer le produit. C’est déjà 80 % de l’assiette. La plus-value, c’est le savoir faire et le travail. » Dès le lundi matin, le chef compose avec une dizaine de producteurs locaux. « C’est eux qui font la carte. En fonction de ce qu’ils me proposent, j’adapte mes plats chaque semaine en construisant des associations pertinentes. Cette contrainte stimule la créativité pour moi. » Moralité : « Il y a une saison pour tout, même pour la viande ! » Au delà du plaisir gustatif, le chef Leclère s’engage.
« Aujourd’hui, tous les producteurs locaux sont en péril, il faut se serrer les coudes sinon la globalisation va nous bouffer. Il faut se rapprocher de son voisin. Je pense que si on mange des produits qui viennent de près, on ne se perd pas. Sinon, nous allons finir par bouffer des poudres ! » Ou des girolles de Russie. « Attention, évitons le piège des produits de saison. Il ne faut surtout pas se forcer à mettre un produit sur la carte si on n’est pas sûr de le trouver près, et frais… On peut se permettre de travailler essentiellement en circuit court car nous avons une petite capacité. Si nous avions une salle de 50 places midi et soir, il serait bien plus compliqué de ne s’approvisionner que chez des locaux.
RACINES SUDISTES
Pour Charles Fontès, chef étoilé de la Réserve Rimbaud, mettre en valeur les produits de région sonne comme une évidence. « Je suis né ici, mes parents et grand parents ont vécu ici, forcément je suis très attaché à Montpellier, à la région, à l’arrière pays. Du coup, j’ai toujours eu envie de travailler des produits régionaux, comme beaucoup de grands chefs. Les Pourcel me fascinaient, ils revisitaient des produits d’ici, comme les encornets farcis… » Mais c’est aux États-Unis que la conviction éthique du Montpelliérain s’est véritablement renforcée. « J’ai eu un déclic. C’était en 2012. Je devais préparer là-bas un repas pour cinquante personnes en l’honneur du label Sud de
France. Le soir, en cuisine les Américains laissaient le gaz et la lumière allumés. Pire, j’avais commandé 10 kg de bœuf, on m’en a livré 25. » Et la botte de ciboulette ? « Elle venait d’Israël. On marche sur la tête. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas travailler comme ça, c’est une aberration. » Honnête, Charles Fontès avoue ne pas travailler à 100 % en « circuit court ». « On n‘a pas pléthores de producteurs pour chaque produit. Les marchés montpelliérains n’ont pas tout, malheureusement. Tous les petits producteurs avec qui on aimerait travailler ne peuvent pas livrer, les quantités ne sont toujours pas au rendez-vous, c’est une vraie gymnastique. Bref, c’est compliqué. » Et c’est aussi compliqué de satisfaire les chefs ! « Parfois je suis impatient, avoue Charles Fontès. Je veux de l’asperge, le producteur va me dire que ce n’est pas encore le moment. En restant dans le circuit court, on manque de produits, oui c’est vrai… »
Autre exemple, les produits de la mer. « Je me fournis auprès d’un seul pêcheur. Un jour, il m’a livré des soles que j’ai mises dans mon bac à évier, elles nageaient encore ! Je n’utilise que des poissons de ligne, sauvages, et le plus possible de méditerranée. Mais quand il y a un fort coup de vent je suis obligé de me fournir auprès des revendeurs d’Atlantique. »
LE TEMPS DE VIVRE
Même constat du côté de Richard Juste, chef de L’idée Saveurs à Montpellier. « Je me heurte à certaines difficultés d’approvisionnement. Mes horaires et mon fonctionnement font que ce n’est pas toujours évident. » Le chef, père de famille, travaille seul. Et doit, toujours aussi seul, s’occuper aussi bien de ses courses que de sa cuisine. « Je suis fermé certains matins, du coup je ne vais pas venir exprès pour recevoir les producteurs locaux. Pour autant, je reste ouvert à toute proposition de produits. Mais il faut que ça se fasse naturellement. Finalement, le luxe, c’est le temps ! » C’est pour cela que son meilleur fournisseur lui, prend le temps. Retraité, le père de Richard Juste parcourt la Gardiole pour son fils, à la recherche de thym, romarin et autres herbes aromatiques. Et si c’était ça la véritable solution ? Avoir le temps de cultiver, ramasser, pêcher ou chasser ce que l’on mange…
AURÉLIEN LALANNE