Le précurseur du bio, c’est lui
Depuis 30 ans, Jacques Salager voit dans la production Bio une manière de consommer certes, mais il le dit sans détour, « le Bio est une solution de secours » pour les producteurs qui peinent à s’en sortir avec la production traditionnelle. Franc, curieux, droit, cet épicurien porte un œil critique sur la mondialisation, qu’il craint autant qu’il ne la comprend. Rencontre.
Au fin fond de Maurin, un chemin de terre. Long, étroit. De la boue, des amandiers en fleurs et… 5 000 m2 de serres en verre à moitié trempées. « Elles sont plus vieilles que moi je crois ces serres ! », arrose d’emblée un Jacques Salager tout heureux de montrer « son » jardin extraordinaire. Céleri, mâche, poireaux, radis, et blette sont les stars du moment. C’est ici, dans la ville où son propre père était maire dans les années 70, que cet amoureux de la nature cultive encore et toujours la passion du bio. « Qu’on ait des bons produits, c’est facile. Je pars d’un seul principe : on nourrit la terre et la terre nourrit la plante. ». Un peu de travail tout de même? « Oui, beaucoup, bien sur », lâche-t-il derrière un humble sourire. « J’essaie toujours de faire du beau, sinon ça marche pas. » Et pour ce papy qui fait de la résistance aux pesticides, ça marche. Deux grossistes, MK bio et Bio Cash à Vendargues, cinq magasins spécialisés, un réseau de distribution de paniers bio (Locavore) lui font confiance les yeux fermés.
Cela fait juste 30 ans que ça dure. Jacques Salager était d’abord très intéressé par la mécanique automobile.
A l’âge de 26 ans, son patron l’a placé chez Alfa Roméo avec un chef d’atelier, « pas toujours facile ». « Au bout de trois mois, je suis parti » Mon père était dans les légumes. « Et quand j’étais petit, vers 6 ou 7 ans, j’allais aux champs à 5 h du matin avant d’aller à l’école. Oui, je ne suis pas né dans un chou mais pas loin. » Du coup, il reprend l’exemple paternel. « Je suis parti avec 8 000 m2 de terrain sur Lattes, et je faisais de tout. En 1976, j’avais tout planté, le Lez a dégueulé, j’ai tout perdu avec 2 mètres d’eau. »
La mécanique revient alors comme une évidence, avant de revenir aux fruits et légumes. « Aujourd’hui, le système n’est pas le même, si tu n’as pas de terre ou si ton père ne te lance pas, tu vas avoir du mal à t’y mettre. Les serres, c’est l’idéal, mais il faut aussi acheter un camion, vivre sur place pour pas se faire voler, c’est compliqué de se lancer. » Et il y a 30 ans, c’était plus simple ? « A l’époque, faire du bio c’était compliqué, y avait des pucerons et tout. Le bio, il faut y venir doucement. Alors j’ai mis du fumier, des engrais organiques. Et en 1986, j’avais 150 000 salades, tout a gelé. » Un Déclic. « Alors, je suis parti voir un grossiste qui m’a expliqué la façon de procéder uniquement en Bio. On nous prenait pour des fous. »
10 000 RECONVERSIONS EN BIO PAR AN
Et pourtant, son ancienne vision d’un monde plus juste a porté ses fruits. « Aujourd’hui, je vois que j’ai raison, tout le monde fait du bio. La preuve, un organisme certificateur, Qualité France, m’a dit qu’il avait fait 4 000 reconversions en 2016 entre Bordeaux et Lyon, c’est énorme ! En France, on est sur 10 000 reconversions par an. » Le risque d’un tel engouement ? « La Grande distribution veut faire du bio. Du coup elle serre la vis aux producteurs bio, comme elle l’a fait avec l’agriculture traditionnelle. Du coup, il faut des gardes-fous. » Une tomate bio d’Espagne, pour lui, ça représente quoi ? « Est-ce qu’on certifie en Espagne comme en France ? Nous ici, on a une réglementation carrée, là bas je sais pas. Je suis d’accord pour faire du local. Aujourd’hui, on a des produits du Maroc. Ils travaillent comme nous et surtout, ils ont des terres neuves qui sont pas polluées par les pesticides. Exemple, la courgette, c’est le même plan utilisé que là bas. Le seul hic, c’est qu’il faut maîtriser le transport et que la qualité aille avec… » Une mondialisation maîtrisée, en somme ? « On ne peut pas se bagarrer entre pays, on n’est pas sur la même longueur d’onde. Par exemple, je n’ai rien contre l’Allemagne, mais quand je vois que les Allemands payent 7 euros de l’heure pour garder des cochons alors que nous, on est à 20 euros, toutes taxes comprises, on ne peut pas être compétitif ! »Pour lui, ce constat mène à la pire des solutions. « Je suis scandalisé de voir tous ces agriculteurs qui se suicident. Le mec il fait 15 à 16 heures par jour, et le lendemain il crève à cause des banques trop gourmandes, ça c’est pas normal. Les « petits », il faut les aider, pas les croûter. Du coup, grâce au bio, les gens s’en sortent. Car ils le vendent plus cher. Le bio, c’est une solution de secours ! Le produit est meilleur, certes mais c’est vendu plus cher ! »
AURÉLIEN LALANNE