Questionnaire épicurien avec Diane Losfelt du Château de l’Engarran

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Quand la passion du terroir croise l’excellence culinaire, cela donne naissance à des échanges riches et inspirants. Diane Losfelt, vigneronne du Château de l’Engarran, et Gérard Cabiron, chef pâtissier et Meilleur Ouvrier de France, partagent bien plus qu’un amour pour le goût : une philosophie de vie tournée vers l’épicurisme et la transmission des savoirs. De leur rencontre fortuite dans un train aux Grés de Montpellier, ce précieux terroir qui porte fièrement leur région, en passant par les souvenirs culinaires et les accords parfaits, ces deux amoureux du beau et du bon nous livrent leurs confidences. Une interview tout en saveurs, où chaque mot résonne comme une ode aux plaisirs de la vie.

 

Je crois savoir que tous les deux, vous vous êtes rencontrés dans un train… ?
Diane Losfelt : Exactement, dans un train. J’étais en voyage Paris-Montpellier, un classique. Je m’installe dans un carré, je sors mon ordinateur, concentrée, et je commence à travailler. À un moment, j’entends des discussions qui m’intéressent. Je relève la tête et je vois ce monsieur parler de gastronomie. Forcément, je suis intervenue ! (Rires)

Gérard Cabiron : C’est tout à fait ça. On était dans un carré, il pleuvait, et les conversations se sont enchaînées naturellement. C’est une rencontre qui devait se faire.

Diane Losfelt : Gérard est un fan d’Adélys, ma grande cuvée en blanc. C’est un Sauvignon vinifié et élevé en barrique, une démarche inspirée des grands blancs bourguignons. À l’époque, quand j’ai eu cette idée, même ma sœur n’y croyait pas. Elle me disait qu’elle n’aimait pas les blancs boisés. Mais j’ai tenu bon, cherché les bonnes barriques, et aujourd’hui, Adélys est un vin reconnu par les amateurs de grands blancs.

Gérard Cabiron : Ce vin est exceptionnel. Sa structure, son équilibre… tout y est.

Diane, vous avez été distinguée par de multiples récompenses. Quelle a été la plus marquante pour vous ?
Diane Losfelt : Il y en a eu plusieurs, mais l’une des plus importantes a été la reconnaissance de mon Grés de Montpellier. Ce vin a provoqué un immense coup de cœur au Guide Hachette, ce qui m’a valu le titre de Vigneronne de l’année. C’est une grande fierté, car cela montre que notre région peut produire de grands vins, même des blancs, contrairement à ce que certains prétendaient à l’époque.

Les Grés de Montpellier, c’est un sujet qui vous tient à cœur…
Bien sûr ! Les Grés de Montpellier, c’est une appellation d’origine contrôlée (AOC) que nous avons obtenue après un long travail de reconnaissance. C’est l’histoire du terroir de Montpellier qui est mise en avant : un vignoble urbain, comme Bordeaux avec ses crus. Cela représente notre identité, notre histoire, et c’est un symbole fort pour la région. J’ai été vice-présidente de ce projet, et cela a été un combat de plusieurs années. Nous avons aussi travaillé sur des éléments concrets : une bouteille gravée, la valorisation de l’appellation par les chefs et les restaurateurs… Aujourd’hui, même un arrêt de tramway porte le nom “Grés de Montpellier”. C’est dire l’importance de cette appellation pour la ville et pour la région. C’est un label de qualité, et les chefs jouent un rôle essentiel dans sa mise en lumière.

Diane, comment définiriez-vous l’épicurisme ?
Diane Losfelt : Pour moi, être épicurien, c’est savoir profiter de la vie. C’est Carpe Diem, mais aussi être conscient de ses racines et se projeter vers demain. En tant que vigneronne, on vit entre hier, aujourd’hui, et demain. Chaque décision se répercute sur les années à venir. Dans la gastronomie, l’épicurisme, c’est savourer le moment présent : la couleur, l’odeur, le goût, et surtout le partage.

Gérard Cabiron : C’est exactement ça. Le partage est essentiel, et il y a aussi une alchimie entre les personnes autour de la table. Un bon vin ou un bon plat partagé avec des gens qui ne savent pas l’apprécier perd de sa magie.

Diane, qu’est-ce que la cuisine représente pour vous ?
Diane Losfelt : C’est un acte d’amour. Ma mère et ma grand-mère m’ont transmis cela. Quand on aime, on cuisine. C’est un moment de partage, de création et d’invention. Je cuisine sans recettes précises, j’invente en fonction de ce que j’ai sous la main. Même mes enfants, aujourd’hui, partagent cette passion. Mon fils, pour ses premiers repas avec ses amis, a cuisiné un rôti de porc à la sauge, comme je le lui avais appris.

Quel serait un dîner parfait pour vous ?
Diane Losfelt : Un dîner parfait, c’est avant tout avec des personnes que l’on apprécie, qu’ils soient des amis ou de la famille. Tout doit être harmonieux : les plats, les vins, les accords. Quand tout s’aligne et que je vois mes invités se régaler, je suis comblée.

Gérard Cabiron : Et c’est aussi savoir avec qui ouvrir une bonne bouteille. Je déteste partager un grand vin avec des gens qui ne savent pas le goûter.

Et votre madeleine de Proust, Diane ?
Diane Losfelt : Ce sont les pêches de mon grand-père. Quand il arrivait au château, il avait toujours des cageots pleins de pêches. Il me les donnait en premier, avant de dire bonjour à quiconque. Ce goût de pêche, c’est un souvenir qui reste gravé. Pour finir, quel est le compliment qui vous touche le plus quand on parle de vos vins ? Diane Losfelt : Quand on me dit que mes vins ont une identité. Qu’ils ont une âme, qu’ils existent par eux-mêmes. C’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire.