Il est des moments où la cuisine dépasse sa fonction première pour devenir un espace d’échange, de complicité et de création. Ce fut le cas lors de cette rencontre unique entre Brigitte Jeanjean, figure des Vignobles Jeanjean, et les Cabiron, Gérard et son fils Gauthier. Ensemble, ils ont orchestré un ballet culinaire autour de la baudroie, ce poisson délicat que Brigitte affectionne tant. À chaque étape, le vin, la terre et la gastronomie se sont rencontrés dans une harmonie parfaite.
Une fois dans l’intimité chaleureuse de la cuisine, Gérard nous révèle sa recette : une baudroie travaillée avec panais, épinards et zestes d’agrumes, agrémentée d’une espuma légère. Brigitte, elle, a apporté son incontournable cuvée “320”, un blanc cristallin élaboré à partir de Vermentino, Marsanne et Roussanne. “Ce vin reflète l’altitude et la fraîcheur de nos vignes des terrasses du Larzac”, précise-t-elle, le regard brillant. Entre le chef et la vigneronne, la complicité est immédiate. “Brigitte, c’est une femme entière, sans artifices. Elle est incroyablement généreuse”, confie Gérard. De son côté, Brigitte, avec humilité, ponctue : “Nous sommes avant tout des gens de la terre. Ce lien au terroir est notre ancrage”. Gauthier, le fils du chef, s’implique avec la rigueur et l’enthousiasme de la nouvelle génération. Les filets de baudroie sont levés avec précision, poêlés délicatement pour conserver leur texture fondante. Les panais, découpés en tronçons généreux, ajoutent une note douce et réconfortante, tandis que les zestes d’agrumes insufflent une touche automnale et acidulée. Le tout est relevé par une espuma légère, signature du chef.
Brigitte, bien qu’elle admette cuisiner rarement, participe activement. “J’adore manger, c’est indéniable”, plaisante-t-elle, tout en observant attentivement les gestes du chef. Cette baudroie, poisson qu’elle apprécie particulièrement, devient ici le prétexte à une célébration des saveurs locales et d’un savoir-faire transmis avec passion. Quand le vin est servi, le silence s’installe. La cuvée “320” révèle une fraîcheur minérale et une acidité équilibrée qui accompagnent idéalement la baudroie. “Ce que j’aime dans le vin, c’est l’équilibre entre fruit et acidité, ce côté velouté sans lourdeur”, explique Brigitte. Soucieuse de modernité, elle privilégie des élevages fins, souvent dans des œufs de béton, pour préserver la pureté des arômes.
Ce vin n’est pas qu’un simple accompagnement. Il raconte une histoire, celle de Brigitte et de ses équipes, de leur amour pour le Languedoc, de leurs efforts pour respecter une terre qu’elles travaillent avec soin. “Nous avons planté plus de trois kilomètres de haies pour favoriser la biodiversité. Les chauves-souris et les moutons ont aussi leur rôle dans nos vignobles”, précise-t-elle avec une fierté non dissimulée. Héritière de six générations de vignerons, Brigitte incarne une vision audacieuse et moderne. “Dans les années 1980, nous avons réduit la surface de nos vignes pour miser sur la qualité”, rappelle-t-elle. Aujourd’hui, elle pousse encore plus loin : adoption de cépages résistant au changement climatique, développement de vins légers adaptés aux attentes des jeunes générations, et même lancement de vins en canette pour le marché canadien.
Son lien avec le Canada, qu’elle affectionne tout particulièrement, témoigne de son ouverture sur le monde. “J’y ai vécu quatre ans et j’y retourne régulièrement pour des conférences et des dégustations. Les Québécois sont des passionnés, curieux et très accueillants”. Mais derrière cette femme tournée vers l’avenir se cache une amoureuse de son terroir. “Le Languedoc, avec sa diversité de sols et de climats, est une richesse inestimable”. Outre la vigne, Brigitte cultive d’autres passions. Son goût pour la moto en fait une figure singulière : elle parcourt régulièrement les paysages sauvages du Languedoc et d’ailleurs. “La moto, c’est la liberté”, confie-t-elle. Et cette liberté, elle la traduit aussi dans son rôle de femme dans un milieu historiquement masculin. “Oui, il y a eu des machos, mais j’ai toujours été respectée. Aujourd’hui, les mentalités évoluent, et c’est une bonne chose”. La baudroie est prête, le vin bien frais. Les assiettes se remplissent, les discussions se poursuivent. Brigitte et Gérard échangent des anecdotes, des souvenirs. Ils parlent terroir, gastronomie, et des défis de leurs métiers respectifs. Gauthier, quant à lui, incarne la transmission, la continuité de ces savoir-faire si précieux.
Le repas se termine sur une note de légèreté et de convivialité. “Le vin, comme la cuisine, est un produit qui rassemble”, conclut Brigitte. Et ce jour-là, cette vérité s’est confirmée une fois de plus : ce n’était pas seulement une recette mais une rencontre entre des âmes passionnées par la beauté simple des choses bien faites.