En décembre 2017, nous avions rencontré François René, ex-chercheur à l’Ifremer en aquaculture, spécialisé dans la maîtrise de la reproduction des poissons, l’ingénieur à l’origine de la filière d’esturgeons en Aquitaine.
Avec son partenaire, Antoine Gannage, il produit à l’hiver 2016 une quarantaine de kilos de perles brunes d’un caviar commercialisé sous le nom de Château de la Castillonne à Montagnac, et ce grâce à des techniques novatrices. Dans un entretien exclusif, Frédéric René, le fils de François, nous détaille leurs progrès.
Chefs d’Oc : Vous avez rejoint votre père dans cette incroyable aventure. Qu’est-ce qui vous a décidé à intégrer l’entreprise familiale ? Quel est votre rôle exactement ?
Frédéric RENÉ : En réalité, j’ai suivi et épaulé mon père depuis le début. J’étais associé au projet au départ dans le but de m’occuper de la commercialisation et de la communication, mais une chose en entraînant une autre, j’ai fini par abandonner mon ancien travail à Paris. Je suis descendu sur Montpellier il y a deux ans pour reprendre l’entreprise dans son ensemble. Aujourd’hui, j’en suis le président. Mon papa continue de nous aider sur le suivi scientifique de la pisciculture essentiellement, c’est son véritable domaine de prédilection !
Après plusieurs années d’exploitation près de Thau, vous venez de vous installer dans une ancienne pisciculture à Saint-Guilhem-le-Désert. Dans quel but ?
Nous étions à Marseillan sur le site de Thau Naissains, en location, dans le but de mener à bien l’expérience scientifique de mise au point des césariennes. Une fois la technique maîtrisée, il nous fallait trouver un lieu à nous pour démarrer l’exploitation. La Castillonne devait être notre lieu d’exploitation, malheureusement les autorités ayant décidé de fermer le puits d’eau, il nous a fallu trouver une alternative. Déçus, nous avons tout de même décidé de garder le nom en mémoire, mais nous sommes ravis d’être à Saint-Guilhem-le-Désert qui est un véritable écrin pour produire notre caviar, avec une eau d’une excellente qualité !
Dans quel état d’esprit êtes-vous un peu plus de deux ans après votre première récolte ?
Aujourd’hui nous démarrons véritablement notre exploitation, mais notre dernière production de caviar est encore meilleure, et toutes les personnes que nous rencontrons sont très enthousiastes, ce qui nous encourage à persévérer : on y croit énormément !
Rappelez-nous le principe de votre technique novatrice. Continuez-vous vos recherches ?
Nous pratiquons une césarienne une fois tous les deux ans sur chaque spécimen qui redonne du caviar chaque fois de plus belle qualité (les poissons sont plus adultes et matures aujourd’hui). Nous sommes passés d’un taux de mortalité de 50 % au départ à un taux de survie de 95 % aujourd’hui, et nous visons 100 %. Le risque 0 n’existant bien évidemment pas, chaque perte est très dure pour le moral : chaque “poissonne” a aujourd’hui son propre nom (Madonna, Ghislaine, Perséphone, Cléopâtre, Marie-Christine…), on s’y attache ! Nous allons commander de nouveaux poissons en Aquitaine pour atteindre un niveau de production acceptable prochainement. Il va nous falloir trouver de nouveaux prénoms !
Combien d’esturgeons votre entreprise exploite-t-elle à ce jour ?
Nous avons 75 poissons femelles et nous souhaiterions en accueillir au moins 300 de plus.
C’est une espèce menacée à l’état sauvage ?
Oui ! Le commerce de caviar d’origine sauvage est strictement interdit aujourd’hui. Nous devons suivre la convention de Washington qui régule ce commerce.
Peut-on qualifier votre production d’éthique ?
Je l’espère, mais ce n’est pas à nous d’en juger. En tous cas, c’est ce qu’en pensent les personnes que nous rencontrons.
Et en matière de goût ? Qu’en pensent les chefs ?
Nous atteignons actuellement une qualité de très haut niveau. Notre caviar possède une très belle longueur en bouche, et les œufs sont aujourd’hui de très belle taille. Chaque chef que nous rencontrons souhaite travailler notre caviar, c’est très flatteur pour nous.
Avez-vous étendu votre zone de distribution ?
Pour le moment nous restons très petits, et nous ne souhaitons pas devenir autre chose qu’un producteur de caviar artisanal, une petite niche ; je crois que c’est non seulement dans l’air du temps, mais c’est véritablement ce que je souhaite : maîtriser une production de taille raisonnable et de haute qualité. Aujourd’hui nous sommes avant tout le premier caviar d’Occitanie, et nous souhaitons devenir une référence, mais nous sommes très attachés au territoire local.
Proposez-vous de nouveaux produits ?
Nous proposons une gamme de produits fumés artisanalement (anguille fumée à chaud, saumon fumé aux épices) que nous allons étendre prochainement (thon rouge, omble chevalier, noix de Saint-Jacques…). Cette gamme rencontre un franc succès, et encore tout à l’heure une commerçante m’a rappelé pour me dire qu’elle avait goûté le saumon et qu’elle n’en avait jamais mangé de meilleur de sa vie ! C’est encore une fois très flatteur et encourageant.
Quels sont vos enjeux de demain ?
Agrandir notre cheptel pour atteindre une taille raisonnable, et éventuellement étudier la possibilité d’ouvrir un second site en plaine, qui utiliserait les techniques de la permaculture afin de n’utiliser aucune eau (filtration par un eco-système intégré) et de produire nous-mêmes l’aliment des poissons. Mais cela est un autre projet en soi, nous nous concentrons aujourd’hui sur Saint-Guilhem-le-Désert, nous allons commencer par nous dégager trois salaires pour Loïc, Alan (mes deux acolytes qui ont rejoint récemment l’aventure) et moi-même, et l’on verra pour la suite !
1, AVENUE SAINT-BENOÎT D’ANIANE
SAINT-GUILHEM-LE-DÉSERT
WWW.CAVIAR-CASTILLONNE.COM
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE GINESTE
PHOTOS ©GUILHEM CANAL