DÉCOUVRIR ET AIMER UNE RÉGION NE PASSE PAS JUSTE PAR SES PAYSAGES ET SON HISTOIRE, C’EST AUSSI VIVRE UNE EXPÉRIENCE AVEC DES ÊTRES PASSIONNÉS PAR LEUR “PAYS”. C’EST CE QUE NOUS AVONS VÉCU AVEC DENIS AUZILHON, LE CHEF DE GÉRARD CABIRON, EN DÉCOUVRANT LA GASTRONOMIE CÉVENOLE ET LES HABITANTS DU LIEU EN SA COMPAGNIE. UNE EXPÉRIENCE HUMAINE ET CULINAIRE.
C’est Gérard Cabiron qui est à l’origine de ce reportage. Il lui semblait plus qu’approprié de consacrer un de nos articles à son chef et ami avec lequel il collabore depuis plus ou moins 30 ans. Nous avons donc contacté Denis. Une poignée de jours plus tard, nous étions sur la route pour une journée à la découverte des Cévennes, cette région aux multiples facettes qu’il aime tant et qui l’a vu naître.
Denis est chef de métier. Il a commencé sa carrière chez Cabiron voilà plus de 30 ans comme charcutier boucher. Un métier appris auprès de son père. C’est d’ailleurs chez ses parents que nous nous rendons. Dans la maison où il a grandi. Après avoir roulé pendant près d’une heure, nous voilà arrivés. Même s’il a cessé son activité, monsieur Auzilhon reste très actif et s’adonne avec coeur à la culture de son jardin. Il nous montre l’ancien atelier de découpe et de transformation. Ils se souviennent. Le métier, il l’a appris à Anduze. Il ne se lancera à son compte qu’après 40 ans. Une reconversion qui demandera beaucoup de sacrifices et d’abnégation. Un moment fort de souvenirs qui unissent encore les deux hommes.
C’est adolescent que Denis décide de s’orienter vers la cuisine. Il intègre l’école de Saint-Jean-du-Gard Il fait “les saisons” comme on dit, dans les Alpes, sur la Côte d’Azur. Il travaille au Mercure à la Grande-Motte, puis entre chez Cabiron à l’époque du père. Il y rencontre sa femme qui connaît Gérard depuis l’adolescence. Levé à 5h, au marché à 6h. Il arrive toujours au labo avant tout le monde, vers 7h, avant d’attaquer une longue journée de production. Il est temps pour nous de partir. Nous avons rendez-vous avec l’un de ses plus vieux amis à quelques kilomètres de là, dans le village de Corbès.
Aujourd’hui, il gère une brigade de 20 personnes, et ses journées sont bien remplies.
Frédéric Mazer est éleveur. Il a participé à la naissance d’une nouvelle race de cochon, le Baron des Cévennes. Un ambitieux projet. Amoureux de la bonne charcuterie et du travail en plein air, il élève une vingtaine de porcs, sur plus d’un hectare de chênes. Il propose des produits de salaison et du jambon de grande qualité en vente directe. Encerclés par ce magnifique paysage, on est au beau milieu de nulle part. Et proches de tout, en même temps. Et c’est à ce moment là, quand votre couverture réseau passe au niveau zéro, que vous réalisez : votre cerveau peut enfin prendre le relais. Nul doute qu’après quelques journées passées ici, vous tomberez littéralement sous le charme. Nous sommes rejoints par d’autres amis. Thierry, son cousin, qui est aussi le maire de Bagard, Fred et Manu. À peine le temps de goûter au saucisson de Frédéric, qu’il vend sur place aux particuliers, que nous reprenons déjà la route. Direction l’Auberge du Temps pour le déjeuner.
<
C’est là que le mot auberge prend tout son sens.
Et le dépaysement est garanti. Le charme du lieu est incontestable. Dans ce vieux moulin du XVe siècle, les propriétaires ont aménagé un lieu hors du temps, où l’on peut apprécier en toute simplicité les subtilités d’un art de vivre à l’ancienne. Nous sommes installés autour de cette grande table, le feu de cheminée crépitant, Josette notre hôtesse, nous annonce ce qu’elle a préparé aujourd’hui. Tout a l’air goûteux. C’est une cuisine simple, traditionnelle et généreuse qui évoque incontestablement l’enfance.
Au programme, terrines, tartes et plats en sauce. La daube de Josette vaut le détour, accompagnée d’un ou deux pichets de vins du coin ; les copains d’enfance nous racontent leur jeunesse passée ici. Les années scoutes où ils se sont tous connus. On fait le point sur l’évolution de chacun. On pense avec émotion à ceux qui sont partis. La joyeuse bande de copains fait plaisir à voir. Ils ne se sont jamais vraiment perdus de vue même si chacun vit sa vie. Chaque année, ils organisent une semaine de vacances tous ensemble. Et puis Denis revient souvent, dès qu’il le peut en fait. Anduze et sa région, ils y sont tous très attachés. Et finalement on les comprend. Dès les premières minutes, on en prend plein les yeux. Des montagnes à perte de vue, une nature préservée revêtue de son manteau hivernal aux couleurs changeantes. Si réticences il pourrait y avoir, on se laisse vite surprendre par la richesse de ses habitants. Et leur honnêteté qui, dans l’attitude, rend encore plus vivante cette expérience. Nos cafés achevés, il est déjà temps de nous dire au revoir et de reprendre la route.
Mireille, la cousine de Denis, nous attend au Mas des Cabrettes à Saint-Nazaire des Gardies, situé à une dizaine de kilomètres d’Anduze sur la route de Quissac, Denis y a passé beaucoup de temps lorsqu’il était enfant et adolescent. Il se souvient avec émotion des petits déjeuners avec “Papet”, de la fête célébrant le dernier jour des vendanges. Il arriva sur la commune de Saint-Nazaire des Gardies et vit un gros chêne centenaire le long de l’ancienne draille, à proximité du Mas Cabrières. Il décida de s’y arrêter pour faire une sieste et quand il se réveilla, ses chèvres avaient envahi une vigne et refusèrent de reprendre la route sous la chaleur de l’été. il s’avança jusqu’au mas. Le propriétaire qui lui offrit un verre de vin lui proposa de lui vendre son mas et ses 8 ha de vignes. C’est en souvenir des chèvres du “Papet” que le domaine fut appelé le Mas des Cabrettes. Il produit de multiples cépages IGP Cévennes, mais également AOP Duché d’Uzès rouge et rosé. Ils ont élaboré une cuvée prestige, “la cuvée d’Ulysse”, travaillée à l’ancienne avec un cheval de trait. Ce vin léger, souple et facile à boire est issu de vieilles vignes de Carignan taillées en gobelets et vendangées à la main. C’est sur cette dernière rencontre que notre escapade prend fin.
Il y aurait encore tellement à dire sur cette journée. De la nourriture aux décors fabuleux en passant par les rencontres et les expériences vécues. On est soufflé par la ténacité de tous ces êtres qui se donnent à 200 % dans des métiers difficiles, pour vivre la vie dont ils ont rêvé. Si je devais n’en retenir qu’une leçon, ce serait celle-ci : ne ratez jamais une occasion de faire un pas vers les personnes qui vous inspirent. Vous pourriez vivre une expérience incroyable. Quels que soient les mots que j’ai choisis pour raconter cette histoire, ils n’auront pas fait honneur à la journée que nous avons vécue. Espérons que les images qui l’accompagnent en soient de meilleurs témoins.
En 1936 leur arrière grand-père est descendu du haut des Cévennes avec son troupeau de chèvres à la recherche d’un mas.
TEXTE MARIE GINESTE
PHOTOS ©GUILHEM CANAL