Nous sommes le 24 janvier 2018. Il est 10h30. Nous sommes attendus dans les cuisines du Domaine de Soriech. La porte battante poussée, c’est déjà l’effervescence. Rejoint par Michel Loustau, Georges Rousset, Gilbert Furlan et Michel Alexandre s’affairent avec enthousiasme derrière les fourneaux. Aujourd’hui, on shoote les 3 recettes du magazine. L’ambiance est assez bon enfant. Je suis tout de suite frappée par cette franche camaraderie. Mais aussi par ce petit quelque chose qu’ils ont tous dans le regard, cet aplomb caractéristique des hommes de conviction. Ils partagent évidemment tous la même philosophie, la même passion pour cet art culinaire mais surtout, ils le défendent tous avec la même ardeur. La convivialité, le respect, la créativité, le plaisir et la transmission, c’est tout cela qui les anime. Les réunir dans une même cuisine, c’est réunir le fleuron de la « nouvelle cuisine » montpelliéraine des années 70-90. Un avenir prometteur se profile pour la région dès les années 70.
Mais Montpellier reste une ville moyenne de province. Même si la renommée de « Chez Nénette » restaurant de la rue de Verdun plane encore sur la ville, on compte seulement deux ou trois grands hôtels de renom et deux ou trois grandes tables : La Lorraine, des frères Runel étoilée Michelin, La Réserve Rimbaud de René Tarit et La Tomate, la table « des Midi Libre ». Mais le Montpellier de cette époque, ce sont aussi les halles Castellane qui dès 6 heures deviennent le lieu de rencontre des cuisiniers de la ville. Une ambiance amicale où tout le monde se connaît.
Aujourd’hui presque tous retraités, la cuisine n’a pas quitté leur vie. Conseil, audit, conférences, nos chefs sont de véritables globes trotteurs. Ils promeuvent avec ferveur et par-delà nos frontières notre gastronomie française, les trésors de leurs terroirs et les valeurs du métier. Pour ce numéro pas tout à fait comme les autres, nous avons choisi de vous raconter leur histoire. Quatre destins qui ont incontestablement changé le visage de la gastronomie locale.
Georges Rousset
Chef retraité, ex Les Muscardins à Saint-Martin-de-Londres
Pour Georges Rousset, la cuisine est une évidence. Pourtant, rien ne prédestine cet aubagnais d’origine à cette carrière. Après avoir obtenu son baccalauréat, il finit par convaincre son père et démarre son apprentissage chez Arnould, à l’époque l’un des meilleurs restaurants sur Marseille. Il fait ses armes au Vendôme à Aix en Provence auprès de Charles Janon, au Lutetia, au Georges V, au Lucas Carton à Paris. Puis une première place de chef au Miramar à Biarritz et une seconde au Savoy, un hôtel de la famille Rothschild. En 1971, il s’installe à Montpellier pour ouvrir La Crèche à Saint Martin de Londres. Le succès est rapide : l’établissement obtient 2 toques au Gault et Millau en 1974. Bien plus qu’un hôtel restaurant, le chef accueille sa clientèle à la manière d’une maison d’hôtes. En 1987, il crée avec son fils Thierry, le restaurant Les Muscardins. La magie opérera jusqu’en 2012.
Les nombreux concours auxquels il participe lui permettent de voyager au Japon plusieurs fois, à Dubaï notamment au Burj Al Arab et au Royal Méridien, au Canada, à San Francisco. Au Ritz de Half Moon Bay, et à New York, Mexico, Pékin, Marrakech, Boston, etc… Tout au long de sa carrière, il mettra un point d’honneur à transmettre son savoir. Vice président d’honneur des Maîtres Cuisinier de France, conseiller de l’enseignement technologique, cinq fois finaliste aux épreuves nationales du Meilleur Ouvrier de France, pour Georges Rousset, « il n’y a pas de « grande cuisine », il n’y a que la bonne et la mauvaise cuisine.
Gilbert Furlan
Chef retraité, ex Le Kinoa à Montpellier
Gilbert Furlan a la cuisine dans l’âme.
À 15 ans, il voit la cuisine comme un moyen de se différencier. Il ne sera pas pompier, avocat ou professeur, mais bel et bien cuisinier.
Il débute son apprentissage dans un petit établissement avant de quitter son sud-ouest natal pour la Suisse. Il travaille dans différents établissements étoilés – dans le jura puis à Montrond-les-Bains dans le célèbre restaurant la Poularde, à Baumanière aux Beaux-de-Provence, en Haute-Savoie à l’Auberge du Père Bise, puis à l’Auberge de Noves à quelques kilomètres d’Avignon- avant de reprendre un hôtel restaurant vers Angers. À la fin des années 70, il s’installe avec sa famille à Montpellier où il ouvre le Chandelier. Il obtient sa toute première étoile Michelin en 1982.Au milieu des années 90, le restaurant s’installe dans le nouveau quartier d’Antigone.
En 2004, avec son associé Jean-Marc Forest, il ouvre le Kinoa au quartier Saint-Roch, une table plus intime mais toujours aussi savoureuse.Depuis à la retraite, il profite avec son épouse de la douceur de vivre montpelliéraine : randonnée, danse, théâtre, opéra sans oublier les matchs de rugby. Même si la cuisine n’a pas totalement quitté sa vie.
Michel Alexandre
Chef retraité, ex Alexandre à La Grande-Motte
Michel Alexandre a lui la cuisine dans les gènes. Son père, Paul tient la célèbre pâtisserie le Palais des délices avant d’ouvrir un restaurant avenue Saint-Maurice à Palavas-les flots. Il choisit de s’y former au métier de cuisinier avant de découvrir sa passion pour la pâtisserie. Il entame alors un tour de France, fait ses armes et se perfectionne auprès de grandes maisons à l’image du Bristol à Paris. Il passera entre autres 6 mois à Vienne à l’Impérial. En 1972, son destin le rattrape et il rejoint le dernier établissement familial : le restaurant Alexandre à la Grande-Motte. Après avoir assisté son père, Michel Alexandre a finalement repris avec sa femme Dany, les commandes de la célèbre table. Son ascension, couronnée de nombreuses distinctions, coïncide avec l’apparition de ce que l’on appelle alors la «nouvelle cuisine», au tournant des années 1970-1980. Au cours de sa carrière, il enseigne près de huit ans à l’École Nationale Supérieure de Pâtisserie.
En tant que consultant, il réalise de nombreux voyages à travers le monde : Jakarta, Bangkok, Tahiti etc. Disciple d’Escoffier, Maître cuisinier de France, Toque Blanche, Michel Alexandre a quitté son piano, mais ne s’est pas éloigné de la cuisine pour autant.
Michel Loustau
Chef Domaine de Soriech à Lattes
Michel Loustau est issu d’une famille Béarnaise de boulanger. Bon élève, il se destine à une carrière de dessinateur industriel. Mais la cuisine, il l’a dans le sang. À 15 ans, il réalise finalement son apprentissage dans le restaurant de son oncle. Il travaille dans un étoilé à Biarritz avant de partir à Paris. Son service miliaire l’emmène en Algérie puis en Allemagne. À son retour, il s’établit à nouveau à Biarritz comme chef de cuisine au Café de Paris avant de s’installer à Genève. Il passe quelques années au célèbre Moulin de Moissac dans le Tarn et Garonne puis s’installe à Montpellier. De 1979 à 1995, il dirige le Restaurant l’Orangerie de la Demeure des Brousses. Puis il ouvre en 1996 le Domaine de Soriech. Un bois touffu dominé par des grands arbres, une grande maison au détour d’un étroit chemin : tout dans ce lieu est enchanteur.
Figure de la gastronomie montpelliéraine depuis plus de 30 ans, Michel Lousteau propose une cuisine basée sur les produits de son terroir natal (le Sud-ouest) et ceux de sa région d’adoption. Une belle adresse pour se faire plaisir. Héritier d’Escoffier, cet amoureux des bons produits est aussi Maître Cuisinier de France.