Le caviar : Un produit mythique

0
913

Le caviar, produit mythique en cuisine, est l’une des stars des fêtes. On parle souvent du caviar d’Aquitaine. Et pourtant, peu de gens le savent, mais les premiers esturgeons ont été élevés dans l’Hérault. Nous avons rencontré François René, ex-chercheur à l’Ifremer en aquaculture, spécialisé dans la maîtrise de la reproduction des poissons, l’ingénieur à l’origine de la filière d’esturgeons en Aquitaine.
Dossier Caviar-Castillone-Guilhem

LES PRÉMICES DU CAVIAR

L’étymologie du mot « caviar » proviendrait du grec « avyron » (œuf) ou du perse « havia » qui signifie œufs de poissons. Sur la naissance du caviar proprement dite, les historiens se montrent hésitants. Peut-être est-il apparu dès l’Antiquité. Au XVIIe siècle, la Russie devient sa terre mère. Elle en exporte par bateaux entiers vers l’Italie, alors que les tsars en font leur ordinaire. C’est le début de l’âge d’or pour la Caspienne et ses pêcheries. Jusqu’au clap de fin de la dernière décennie, triste requiem pour l’esturgeon sauvage qui n’a survécu ni à la surpêche, ni encore au braconnage.

LES ANNÉES FOLLES

Les Français ont mis du temps à se laisser convaincre par les mérites du caviar. C’est véritablement durant les Années Folles à Paris, que le caviar devient le symbole absolu du luxe et de la fête, notamment dans les milieux artistiques. À cette époque, nombreux sont les Russes qui ont rejoint la capitale après la révolution. Parmi eux, les Mallof, le principal producteur de caviar de la Russie tsariste et les frères Petrossian, d’origine arménienne: ils s’allient en 1920 dans une boutique au 18 du boulevard de Latour-Maubourg, qui existe encore aujourd’hui. À Montparnasse, les tables russes se multiplient et le caviar est la mode.
Qu’il soit béluga, osciètre ou sevruga, il devient inséparable du champagne, alors en pleine gloire L’art du caviar s’impose peu à peu sur les meilleures tables de la capitale et dans les réceptions les plus grandioses.

Dossier Caviar-Castillone-Guilhem
Dossier Caviar-Castillone-Guilhem

DES ACCORDS DE COLLABORATION ENTRE LA FRANCE ET L’UNION SOVIÉTIQUE

Dans les années 70, des accords de collaboration signés par les présidents Giscard et Brejnev, permettent à l’équipe de François René, alors chercheur à l’Ifremer de recevoir 3 000 jeunes esturgeons sibériens en échange de 5 000 alevins de loups français produits en écloserie pour la première fois au monde. Elevés sur les bords de l’Hérault, les esturgeons sont à cette époque transférés en Gironde.

L’ESSOR DU CAVIAR D’ÉLEVAGE

En 20 ans, la géographie mondiale de la production de caviar a profondément changé. Le caviar sauvage a pratiquement disparu de la planète à cause de la pollution et d’une pêche excessive. Face à la baisse progressive des populations d’esturgeons dans leur milieu naturel, toutes les espèces de la famille sont décrétées menacées par la Convention de Washington. Leur pêche est finalement totalement interdite en mer Caspienne depuis 2009. Depuis 2011, la commercialisation et la production d’œufs d’esturgeons sauvages sont interdites. L’aquaculture a pris le relais et des élevages d’esturgeons se sont créés un peu partout dans le monde. Résultat, l’élevage assure aujourd’hui 90 % de la production mondiale.
Dossier Caviar-Castillone-Guilhem

PELOTON DE TÊTE : CHINE, ITALIE, FRANCE

L’Italie s’est lancée très tôt dans l’aquaculture, et s’est vite imposée sur le marché mondial. Elle devient le premier producteur au monde, suivie par la France. Mais la Chine va rapidement développer cette technique d’élevage et supplanter l’Italie. Le trio de tête aujourd’hui : Chine, Italie, France. Suivent l’Uruguay, la Bulgarie, l’Espagne, Israël et depuis 2013 Dubaï. Autrement dit, contrairement aux croyances, la Russie et l’Iran ne sont plus les producteurs numéro un de caviar.

UNE PRODUCTION FRANÇAISE

Il y a une vingtaine de producteurs en France quasiment tous installés dans le Sud-ouest : Gironde, Dordogne, Charente. Mais il n’y a pas qu’en Aquitaine que l’on produit du caviar.
Avec son partenaire, Antoine Gannage, François René produit depuis l’hiver 2016 les premières perles brunes d’un caviar commercialisé sous le nom de Caviar du Château de la Castillonne. À Montagnac, situé non loin de l’étang de Thau, le site d’aquaculture abrite une source d’eau chaude à 27 degrés, puisée à 1.500 mètres de profondeur. Ils ont obtenu une quarantaine de kilos d’œufs d’esturgeons grâce à des techniques novatrices. « Je souhaite faire un caviar d’excellence, qui associe la grande restauration et l’art. » Une production pour l’instant confidentielle, mais qui pourrait à terme croître rapidement…
Dossier Caviar-Castillone-Guilhem

DES TECHNIQUES NOVATRICES

Pour commencer, leur élevage est moins dense que cela ne se fait ailleurs. Mais surtout, ils tendent à appliquer les règles qui répondent aux normes écologiques européennes : recycler totalement les eaux, avoir le moins d’impact sur l’environnement, et utiliser l’énergie solaire.
Dans un élevage classique, on éventre et on tue le poisson pour prélever les œufs. François René a développé une technique alternative afin de préserver l’animal. Il pratique une césarienne pour récupérer les œufs après avoir descendu le poisson en catalepsie. De cette manière, les esturgeons ne sont pas tués et peuvent produire à nouveau.
C’est une technique complexe qui implique de réaliser des sutures mais qui a largement fait ses preuves. « À terme, le poisson peut ainsi poursuivre son développement, vivre, en théorie, jusqu’à 30 ans et atteindre près de 200 kilos », selon ses estimations. « Grâce à cette technique, on obtient un caviar supérieur à ce qui se fait ailleurs ». Un produit luxueux donc. Et une histoire singulière, qui commence à s’écrire. « La tradition, le luxe, l’excellence française ». Pour François René, le caviar, c’est cela.
Dossier Caviar-Castillone-Guilhem

COMMENT LE DÉGUSTE-T-ON ?

La dégustation « à la royale », c’est à dire sur la main est une coutume des acheteurs qui goûtent ainsi le produit sur les marchés locaux.
Elle n’est qu’un rite parmi d’autres. Chacun défend le sien. Mais Pour les amoureux des œufs d’esturgeon, la discussion n’a même pas lieu d’être. Que l’on soit néophyte ou palais affirmé, c’est dégusté seul que le caviar se révèle au mieux. Pas sur une pomme de terre en robe des champs, ni sur une tomate, surtout sans gouttes de citron, seul. Présenté dans sa boîte d’origine, sortie du réfrigérateur une trentaine de minutes avant consommation, mais posée sur un lit de glace.
Placez entre vos lèvres quelques perles de caviar. Et commencez par percevoir les sensations procurées par leur texture: fermes mais moelleuses, onctueuses et grasses mais toujours soyeuses en continuant de les faire rouler entre langue et palais. Choisir une cuillère adéquate, en or, en nacre, en corne, en bois, mais jamais en argent, qui oxyde. Comme accompagnement, une vodka frappée s’impose. Ceux qui ne supportent pas les 40 degrés de l’alcool blanc choisiront un champagne ultra brut.

PROPOS MARIE GINESTE
IMAGES © GUILHEM CANAL