Le chef Jacques Mazerand

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Le mazerand

Inutile de vous présenter les frères Christian et Jacques Mazerand, responsables du restaurant éponyme, et dont la réputation n’est plus à démontrer. Aussi connus que discrets, ils nous proposent une cuisine gastronomique qui fleure bon le Sud et le terroir. Loin de l’effervescence du centre-ville, niché dans un écrin de verdure où cohabitent chênes, platanes et pins, le restaurant, classé trois fourchettes au guide Michelin, est avant tout un lieu magique , hors du temps, dominant la plaine du Lez.
Épicuriens dans l’âme, tous deux mettent un point d’honneur à travailler des produits locaux de qualité. Jacques Mazerand a su cultiver la passion d’une cuisine généreuse à force de travail. La carte révèle bien des plaisirs : asperges vertes du pays, petit burger brioché d’un caviar d’aubergine à la brousse de brebis, ou encore une assiette de tapas, signature du Mazerand, truffe, homard, filet d’espadon grillé, espuma d’artichaut, filet de boeuf race Aubrac…une liste non exhaustive qui titille incontestablement nos papilles. Et c’est sans oublier les desserts ! Comment résister à l’assiette de chocolathérapie , trilogie de chocolat noir intense, lacté et ivoire aux différentes textures et saveurs. Rencontre en toute simplicité avec un homme qui allie humanité et humilité.

 

9h00 LA MACHINE DÉMARRE

Ce mercredi 17 mai, le soleil est déjà haut. Un matin doux, comme le mois de mai en a le secret. Un calme étonnant, à peine troublé par le chant des oiseaux règne sur la propriété du chemin du Mas de Causse à Lattes. Derrière les grilles, le Mazerand semble fermé. Mais en contrebas, un léger fourmillement nous interpelle. « Bonjour, vous allez bien ? ». Jacques Mazerand, s’affaire en cuisine depuis déjà 1 heure. Comme tous les jours, il fait le point sur la journée, accueille les fournisseurs et contrôle les produits. Ce matin, ils ont été livrés en viandes. Le primeur a déposé ses fraises et ses groseilles.
La brigade est elle aussi en place. États-Unis, Italie, Hollande, Espagne…l’équipe est jeune et internationale. On parle français un peu, anglais beaucoup. « La différence, le mélange de cultures et de sensibilités c’est aussi cela qui permet une cuisine de qualité ». La matinée débute à peine, mais le travail semble déjà bien avancé.

 

9h10 À L’OMBRE DES PLATANES

Le chef nous propose un café. Nous nous dirigeons vers la terrasse ombragée. L’occasion pour Jacques Mazerand d’évoquer avec son frère, Christian l’histoire un peu oubliée de cette ancienne maison vigneronne bâtie sur l’ossature d’une chapelle du 17e siècle. Cette demeure, ils la connaissent bien. Les Mazerand habitent sur place, dans les étages. Ils l’ont acheté en 1989, pour y ouvrir leur restaurant, Christian dirigeant la salle, Jacques la cuisine.
Christian nous interrompt. « Le poisson est là ! » Ultra-frais, il est déposé par Jean-Sébastien Ray, un pêcheur de Palavas-les-Flots. « Il nous amène toujours de très belles pièces en fonction de ses prises ». Aujourd’hui ce sont des soles. Ce champion de France de plongée sous-marine, réserve une petite surprise au chef : des cigales de mer ! Aussi rares que délicieuses ! C’est l’effervescence en cuisine.

9h20 LE BAL DES FOURNISSEURS

On continue d’explorer les lieux. Le chef nous emmène dans son jardin où il cultive avec son frère tomates, radis, aubergines, verveine, basilic, persil et ciboulette. Le bonheur simple d’un homme simple. Le bal des fournisseurs continu ! Asperges des bois, girolles et mûres rejoignent la cuisine. Le chef aime travailler avec différents fournisseurs pour proposer les meilleurs produits. Le téléphone sonne, il se précipite à l’intérieur pour répondre. Nous le suivons. Côté décoration, l’établissement est sobre et moderne. Nuances de gris, de taupe et de blanc relevées de quelques touches végétales, la décoration a été orchestrée avec goût par l’architecte d’intérieur Chantal Peyrat.

10h00 LE CALME AVANT LA TEMPÊTE

C’est le temps de la mise en place, les fonds de sauce mijotent dans les casseroles, on prépare les poissons. On s’entraide, on travaille ensemble dans un calme presque monacal.
Le chef fait très attention au temps. Comme l’affluence du midi est aléatoire, le matin on amorce aussi le repas du soir. Dans la cuisine de Jacques Mazerand, tout le monde touche-à-tout ! « La transmission, j’aime ça » prévient le chef. Son ambition c’est que son équipe ait du plaisir à venir travailler. « C’est un métier difficile, on doit le faire avec passion, il ne faut pas oublier la dimension humaine ». Le décor est planté. Le téléphone sonne à nouveau. Le chef va recevoir les anguilles demandées par un habitué. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on a le sens du service au Mazerand !
 

10h30 DIRECTION VIC-LA-GARDIOLE

Nous sommes rejoints par Damien Couvri, gérant du Primeur de Juvignac. Avec plus de 100 tables à son actif, on peut dire que c’est le fournisseur de fruits et légumes préférés des chefs. Nous prenons la route direction les champs de salade de Bonnefond & Fils à la rencontre de Matthieu, producteur à Vic-la-Gardiole. Pendant ce temps, au restaurant, le repas du personnel est servi. Il faudra encore quelques minutes avant que l’équipe lâche les fourneaux. D’ordinaire, Jacques Mazerand mange avec son frère Christian et cela depuis 28 ans. C’est un peu la réunion du jour. Ils font le point sur les affaires et les projets en cours, en cuisine et en salle. Côté personnel, la pause d’une heure ne dure souvent que quelques minutes ! « La passion l’emporte ! Ils ne savent pas s’arrêter »

11h30 DERNIERS RÉGLAGES

C’est l’heure de faire le point. Tout le monde est à son poste. Les poêles sont déjà sur le feu. L’horloge est prête à se transformer en chronomètre. On commence à imaginer le service. Comment les plats vont-ils être préparés ? Où vont-ils être dressés? La cuisine prend vie, le piano crépite. Les odeurs aromatiques se dégagent déjà. On coupe, on tranche, on épluche, on touille, on égoutte… la brigade est en action. Le chef a l’œil partout. Mais pour autant on l’entend peu. Tout le monde sait ce qu’il a faire, chacun est assez autonome. Le secret d’une bonne organisation : prendre de l’avance et surtout anticiper.

12h00 TOUT LE MONDE À SON POSTE

La première commande arrive, c’est le top départ. L’orchestre commence son concerto. Les amuse-bouches partent en salle. S’ensuivent les premières entrées. Pas le temps de souffler, la seconde commande est là. C’est reparti. Les assiettes ne traînent pas. Chacun passe d’un établi à l’autre en évitant les accidents. Les cuissons commencent, tout est chronométré. Les émulsions se multiplient, les casseroles fument, les couteaux dansent. La cuisine se transforme en tourbillon! Le chef nous fait signe. Il est temps pour nous d’aller manger.

12h30 LA DANSE DES PLATS

Christian épaule le chef dans le service. Il nous installe sur la terrasse, à l’ombre des platanes. Il a un mot pour chaque table, une oreille attentive pour chaque client. Tout est dans la tête, aucune prise de notes, aucun mémo. Pour accompagner nos plats et selon nos goûts, il nous propose une carte riche de 250 références de vins de grands crus de la région Languedoc-Roussillon mais aussi de la Vallée du Rhône, de la Provence, d’Alsace, de la Vallée de la Loire, du Sud-Ouest… y compris des vins estampillés bio. L’ambiance est agréable. Cette journée ressemble à un jour d’été. Truffe préparée en risotto crémeux, filet de bœuf race Aubrac dans l’esprit d’un tournedos Rossini accompagné d’une escalope de foie gras et toasts au beurre de truffe suivi d’un dessert autour de la fraise accompagnée de rhubarbe sur un financier pistache recouvert d’une crème fouettée mascarpone fondante à la vanille Bourbon. Le repas a quelque chose de divin.

 

13h30 LA FIN DU SERVICE

La pression retombe, peu à peu. Les dernières assiettes quittent le passe-plat. Le chef quitte sa cuisine pour saluer quelques habitués. Avec modestie, le chef serre quelques mains et échange quelques mots. En coulisses, l’équipe range et nettoie avant de partir en pause.
 

15h00 REPRENDRE DES FORCES

Le calme règne à nouveau. Le chef vient de précuire la volaille pour le groupe de ce soir. L’après-midi, malgré un emploi du temps bien rempli, Jacques Mazerand se consacre dès qu’il le peut à son autre passion : le cyclisme sans oublier sa famille. Outre le travail en cuisine de son restaurant, Jacques Mazerand s’est engagé depuis plusieurs années dans des actions de promotion de la gastronomie régionale ou humanitaire. Intronisé dans l’Ordre des Disciples d’Auguste Escoffier, Maître Cuisinier de France et Président de l’association Chefs d’Oc, il intervient régulièrement dans les écoles hôtelières de la région.

18h00 RETOURS AUX FOURNEAUX

Les ramequins pour les mises en bouches sont sortis. Tranquillement, chacun finalise sa mise en place. Puis partage le repas du personnel.
Le chef partage avec nous son repas. L’occasion de nous parler de son parcours. La cuisine, il y est venu un peu par hasard à l’occasion d’un job d’été où il a travaillé comme serveur.
Il décide alors de s’inscrire à l’École Hôtelière de Saint Chely d’Apcher où il découvre la cuisine Il en sortira major de promotion deux ans plus tard. Il travaillera ensuite dans plusieurs établissements référencés dans les guides comme l’Ermitage Meissonnier à Avignon, le Carlton à Lausanne ou encore le Chandelier à Montpellier avant d’acquérir avec son frère la maison de maître du Mas de Causse.
 

19h30 DERNIÈRE LIGNE DROITE

Dernier coup d’œil à la salle. La musique est lancée. Les premières tables ne vont plus tarder. En salle comme en cuisine, c’est l’heure d’entrer en scène. Derniers réglages, il faut que tout soit parfait : un plan de travail dégagé, un coup de balais passé. La concentration est maximale. Tout le monde est à son poste. Jean-Philippe le second, Léa, Matéo, Kelsang et les apprentis. Chacun maîtrise sa partition. Le chef prend son poste, à la cuisson et au dressage. Il aime par-dessus tout travailler la viande et les jus.

20h00 « ALLÔ CHEF »

Les premiers clients arrivent. On sort les premiers apéritifs. En salle on distribue les cartes, on prend déjà les premières commandes. La partie démarre, la soirée est lancée. Le groupe de 30 vient d’arriver. À peine les mises en bouches sorties de la cuisine que l’on prépare les entrées. La deuxième table s’installe. Tout le monde poursuit son ballet. Un deuxième bon est dicté. Aucune tension n’est palpable. Les gestes sont précis, le chef sourit. Derrière son piano, il joue une partition qu’il connaît par cœur. Le calme en cuisine tranche avec l’ambiance en salle. Sur le plan de travail, les assiettes prennent vie simultanément.

20h45 LES PETITS PLATS DANS LES GRANDS

« Allô ! On peut y aller pour les entrées du groupe ». Les entrées sont envoyées, les plats mis au four. En cuisine on répète les mêmes gestes. La fin des entrées a sonné. La charge des plats retentit de plus belle. Une heure après le début du service, l’apogée du spectacle est enfin atteinte. Le tempo est tenu. Les gestes saccadés laissent place à de plus amples mouvements. Le rythme permet de ranger, de nettoyer, de faire le vide. C’est au tour des desserts de pointer le bout de leur nez.

22h00 LA PRESSION RETOMBE

Le rythme ralentit. Les dernières assiettes sont envoyées. La plonge de la cuisine se termine, on range, on nettoie, on conditionne et on fait le point. « Chef, on a un problème de cuisson ! ». Qu’à cela ne tienne ! La viande est cuite davantage. Soucieux du détail, le chef dresse l’assiette une nouvelle fois.
 

22h30 C’EST FINI POUR AUJOURD’HUI

Tout est envoyé. C’est la fin du service. La cuisine est impeccable. Reste à attendre que les derniers clients ravis de pouvoir dîner sur la terrasse pour la première fois de l’année quittent tranquillement les lieux. Tout le monde ira se coucher satisfait de son travail. La cuisine est un éternel recommencement. La journée de Jacques Mazerand s’achève. Mais dès le lendemain, il sera sur la brèche pour superviser une nouvelle journée.

MARIE GINESTE