Il fait partie de cette nouvelle génération qui bouscule l’huître de Bouzigues. Seul dans sa petite exploitation, Pascal Migliore promeut un coquillage naturel au goût intense. Et ses produits séduisent les plus grands chefs français.
« Je suis un enfant des huîtres. » Avec son look de marin breton, Pascal Migliore est comme un poisson dans l’eau, au milieu de l’étang de Thau. Normal : à 44 ans, il est la quatrième génération de la famille dans les métiers de la mer. Et la seconde dans les coquillages.
« Après avoir commencé par la pêche à l’anguille, mon père s’est lancé dans les années 70 dans l’huître. Il travaillait avec mon oncle, dans le Mas voisin. » Le petit Pascal commencera à « tâter du couteau » dès ses 14 ans, avant de choisir d’en faire son métier.
L’exploitation du tonton déborde de main-d’œuvre : son père ouvre son propre mas juste à côté, dans la zone conchylicole de Loupian. Pascal Migliore prendra la relève, et fera tourner le mas pendant deux décennies. Comme beaucoup sur l’Étang, il vend alors sa production à des grossistes et négociants. Mais en 2010, la passion s’érode. « Il y avait une certaine lassitude. Ce métier devenait un chemin de croix. Je me posais des questions sur le monde où l’on vivait. » Il laisse tomber le mas, pour devenir gérant du bar Le Foch, au centre-ville de Montpellier. « Une expérience intéressante au niveau humain. J’ai beaucoup appris, moi qui étais d’une nature plutôt réservée, timide, voire sauvage. Par contre, économiquement, cela a été une catastrophe ! »
LE CYCLE NATUREL
Fin 2011, il choisit de relancer le mas de Loupian. Mais pour retrouver la passion, il fait le choix de la qualité. D’oublier la pression du rendement maximum. « J’ai décidé de repartir à zéro. Revenir à des techniques traditionnelles, héritées de mon père. Être plus en accord avec l’environnement où je travaille. » Un exemple : désormais, il laissera plus d’espace entre les coquillages, pour mieux les dorloter. « Sur les cordes, la tendance est de rapprocher de plus en plus les huîtres. Je préfère les espacer d’au moins quatre doigts. Cela leur permet une meilleure alimentation, et donc une meilleure pousse. » Surtout, plutôt que de forcer une production à l’année, il préfère suivre Dame nature. « Le cycle naturel de l’huître de qualité, c’est entre novembre et avril. C’est à cette période que je travaillerai le plus. Le reste de l’année, je préviens mes clients : elles sont laiteuses, et c’est normal. » Or, certains proposent des huîtres non laiteuses toute l’année… « Il y a différents types de coquillages. Les naturels, qui naissent et grandissent en parc. Les diploïdes, qui grandissent en écloserie. Et les triploïdes, ou huîtres des 4 saisons, dont le génome a été modifié pour qu’elle ne soit jamais laiteuse. » Dans les années 2000, il se souvient avoir testé, comme beaucoup à Bouzigues, les triploïdes et leur pousse ultrarapide. « Cela a été une catastrophe. On a vécu des épidémies, une forte mortalité, des coquillages qui ne poussaient pas. » Désormais, il choisit les naissains (les bébés huîtres) naturels ou diploïdes, aux gènes intacts. Et tant pis si sa production n’est pas intense toute l’année. « Je fais une quinzaine de tonnes à l’année. Cela me suffit. »
SUIVRE SON INSTINCT
Et depuis 2012, il s’est lancé dans l’exondation. Cette méthode qui consiste à sortir les huîtres de l’eau temporairement, pour simuler les marées, et stimuler le coquillage. Mais à sa façon. « Selon moi, sur Bouzigues, on a un produit déjà de qualité, lance-t-il. Exonder le coquillage trop jeune, cela ne me semble pas utile : on perd du temps sur sa croissance. Il faut que cela amène un truc en plus ! » Plutôt que d’utiliser des machines, il choisit donc d’exonder « à la main ». Certaines huîtres sont sélectionnées, et réunies dans des pochons de 8 kg. Replongées dans l’étang, elles seront régulièrement sorties de l’eau selon l’instinct du conchyliculteur. « Cela développe le pied de l’huître, la partie qui a le goût le plus intéressant, apportant l’équilibre gustatif, le côté croquant et moins salé. » Au bout de quelques mois, la « Spéciale » est prête.
Et pour ces fêtes, le producteur promet des merveilles. « Ma chance, c’est que mes tables sont à proximité d’une sortie de rivière. Cela permet aux huîtres de bénéficier d’apports importants en nutriments. Quand il y a des épisodes de fortes pluies, c’est parfait pour les coquillages. La pousse est plus rapide et de meilleure qualité. Cette année, cela va vraiment être du caviar ! »
LA CONFIANCE DES CHEFS
Du caviar qui commence à se faire connaître. On est loin du moment, en 2012, où les Halles Bocuse, à Lyon, refusaient ses huîtres. Lorsqu’il a présenté ses premières Spéciales, en 2013, le retour a été très bon. L’homme a aussi développé son réseau auprès des chefs : Michel Chabran, une étoile à Valence, Franck Putelat, 2 étoiles à Carcassonne, Lionel Levy, une étoile à Marseille, et les Frères Pourcel ont cru en son produit.
Pourtant, sa petite exploitation se fait toujours aussi discrète. « Certains jouent sur le marketing, la communication. Moi je préfère me concentrer sur le produit. En limitant les coûts de commercialisation, je limite le prix de vente. » Son conseil : manger le coquillage brut, « ou avec un peu de poivre. En tartare, avec du bœuf haché, c’est excellent ! Mais surtout pas de citron, car cela tue les arômes. » Au mois d’octobre, son talent est récompensé : il entre au collège culinaire de France, qui promeut le bien manger et les produits d’exception. Il compte bien y défendre ses huîtres naturelles. « Elles ont un goût brut, authentique. C’est une vague d’eau de mer en pleine tronche ! »
GWENAËL CADORET
Infos : page Facebook huîtres Migliore et 06 62 78 03 64.