Les Truffes les mystères de l’or noir

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La truffe noire, produit aussi rare que mythique en cuisine, est une des stars des fêtes. Dans l’Hérault, quelques producteurs passionnés cultivent cet or noir à l’arôme si particulier. Mais cela n’a rien d’une sinécure : récolter ce champignon demande des talents d’alchimiste… et beaucoup de chance !

LA TRUFFE, C’EST QUOI ?

Ce n’est ni un légume, ni un tubercule : le tuber melanosporum, ou truffe noire, est un champignon qui pousse sous terre, jusqu’à 30 cm de profondeur. Comme tout champignon, la petite boule noire grandit auprès des arbres. « La meilleure essence, ce sont les chênes », précise Gilbert Sérane, producteur à Viols-le-Fort et président du syndicat des trufficulteurs de l’Hérault. « Elle a obligatoirement besoin d’un système racinaire où s’adosser. Elle vit en symbiose avec l’arbre : ils s’apportent mutuellement. »
Mais pour que cette union soit heureuse, le chêne doit être « mycorhizé » : dès l’éclosion du gland, il faut un contact direct avec des spores de truffes. Si le mariage fonctionne, on parlera d’association, et le chêne sera considéré comme « truffier ». Néanmoins, qui dit chêne truffier ne dit pas forcément truffe. « Il reste de nombreuses questions ouvertes sur le sujet », sourit Elisa Taschen, auteur d’une thèse sur le tuber melanosporum en 2015. L’une des rares choses dont on est sûr, c’est que la truffe est le fruit d’une reproduction ! « Pour qu’il y ait une truffe, on sait désormais qu’il faut deux individus, ajoute la scientifique. Le premier, dit « maternel », est présent sur une racine. Mais l’origine du second, ou « paternel », reste inconnue. Tout cela est entouré de beaucoup de mystères.» Pour Gilbert Sérane, c’est un peu cela, la magie de la truffe. « Il y a une part de hasard, d’inconnu. On ne sait jamais pourquoi un arbre va produire, et un autre non ! » Et rien ne dit qu’il produira chaque année ! « Là encore, il n’y a aucune certitude, souligne-t-il. On connaît simplement des facteurs favorables : un environnement humide, mais pas trop ; sec, mais pas trop ; et chaud, mais pas trop… » Tout et son contraire, en somme ! La truffe est une exception à toutes les règles.

LEUR SAISON, C’EST L’HIVER

Elisa Taschen le confirme : « les petites truffes naissent juste avant l’été ». Elles vont ensuite grandir, avant une période de maturation, en hiver. « Pendant 6 mois, elles vont devoir persister dans  le sol, analyse la chercheuse. Si l’été est trop sec, par exemple, elles ne pourront pas se développer. » Producteur de truffes à Saint-Jean-de-Fos, Jérôme Capelli précise quelques fondamentaux : « On a besoin d’un printemps plutôt pluvieux. Puis d’une bonne pluie autour du 14 juillet, et des orages vers le 15 août. » Après les premières « truffes fleur » à l’arôme moins soutenu, mi novembre, les plus beaux spécimens apparaissent entre décembre et février.

DE MOINS EN MOINS DE TRUFFES SAUVAGES

L’Hérault, ce n’est pas que la mer et les vignes. Dans l’arrière-pays, garrigues et forêts sont des terroirs propices au tuber melanosporum. « Il y a 30 ou 40 ans, on trouvait beaucoup de truffes sauvages, se souvient Gilbert Sérane. Comme pour les champignons, les gens avaient leurs coins à truffes, et gardaient le secret. » Mais au fil du temps, elle a fait tourner les têtes. « C’est devenu une vraie ruée vers l’or : les gens venaient de 5 ou 6 départements. Ceux qui connaissaient une truffière saccageaient tout, pour que personne d’autre n’en trouve ! C’est la principale raison de la raréfaction de la truffe sauvage. Elle a presque disparu, à part dans quelques villages du Biterrois. » Même s’il continue à en trouver parfois dans la nature, Jérôme Capelli confirme que « c’est de plus en plus dur ». Car le milieu naturel est moins favorable. « Lorsque la forêt gagne du terrain, les truffières arrêtent de produire. Avant, avec le pastoralisme, le chauffage au bois, le milieu était entretenu, il y avait un équilibre. Maintenant, le milieu se referme. » Dernier élément : la multiplication des sangliers constitue une menace permanente. Car comme le dit Gilbert Sérane, « les sangliers adorent les truffes » !

PEUT-ON LA CULTIVER ?

« Pour se lancer, il faut être passionné, et sans doute un peu fou ! » Comme Gilbert Sérane, tombé dedans il y a trente ans, un nombre croissant de personnes tentent de faire pousser la précieuse pépite noire. Mais cette culture n’a rien d’un fleuve tranquille. La truffe est en effet une grande capricieuse ! « On maîtrise encore très peu les choses, annonce Jérôme Capelli. Une culture classique, après la floraison, on sait comment sera la récolte. Ici, on n’aura jamais d’aspect visuel. On dépend de la météo, la nature… et un peu du hasard ! » Car comme le rappelle Gilbert Sérane, « on peut planter des chênes, et ne jamais avoir de production. On n’a jamais de certitudes. » Malgré tout, au fil du temps et de l’expérience, quelques trucs permettent d’améliorer les chances. Selon Elisa Taschen, le rôle du producteur est « d’accompagner le milieu. On ne cultive pas la truffe. On entretient son environnement, pour favoriser son apparition. »
« Aider le milieu », cela veut notamment dire assouplir la terre, et gérer l’apport en eau. « Laisser faire la nature, cela ne fonctionne pas dans 90% des cas, complète Jérôme Capelli. Il faut arroser, mais pas trop, au bon moment, en attendant les pluies. On doit aussi limiter la concurrence : les herbes et autres champignons prennent vite le dessus sur la truffe. » Le choix du sol est déterminant pour Gilbert Sérane : « Plus la terre sera légère et drainante, et plus elle sera propice. Notre département, avec de nombreux sols calcaires, offre pas mal de secteurs favorables à la production. » Et même si le cœur d’Hérault rassemble la majorité des producteurs, le président du syndicat note que « les adhérents s’étalent sur tout le département, des hauts cantons jusqu’à la mer ».
Dans l’Hérault, rares sont les producteurs professionnels. La raison : la récolte est très aléatoire. Il est indispensable de planter de nombreux chênes, pour espérer trouver des truffes. Car une majorité n’en donnera jamais… « Pour moi, qui fais cela depuis 30 ans, cela peut représenter 10 à 20 kilos par an, assure Gilbert Sérane. Les meilleures années, j’en ai eu 50 ou 60 kilos ! » Jérôme Capelli connaît « peu de gens qui arrivent à en vivre. Souvent, des agriculteurs vont planter des chênes truffiers pour se faire un petit complément. » Lui même est fonctionnaire à côté. Et malgré ses trois hectares et 800 chênes, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, après 15 ans d’expérience !
Travail de précision, résultat incertain, produit rare… Voilà ce qui explique le prix élevé (autour de 1000 € le kilo). « N’oublions pas qu’on n’en trouve pas tout le temps, nuancent les producteurs. Zéro gramme à 1 000 €, ça fait toujours zéro ! »
Mais pourquoi continuer malgré les immenses contraintes ? « On est un peu comme des chercheurs d’or, répond Gilbert Sérane. Quand le chien gratte, c’est magique, on a toujours un frisson. » Jérôme Capelli reste fasciné par l’odeur du sol. « Quand le chien marque, le sol a l’odeur de la truffe. On sait qu’elle elle là, mais on ignore à quoi elle va ressembler. La nature est une vraie magicienne ! »

L’ANIMAL : LE RADAR À TRUFFES !

Pour trouver les tuber, l’aide d’un animal est indispensable. Le plus pratique, c’est « un chien dressé, habitué dès son plus jeune âge à chercher les truffes », révèle Gilbert Sérane. Stimulé par son maître (et quelques croquettes), le canidé creusera là où il sent le champignon, sans aller trop loin. « C’est l’un des éléments importants dans le dressage. Le chien doit savoir s’arrêter dès qu’il arrive à la truffe. » Tout semble dépendre également de la relation homme animal. « S’il y a un vrai lien d’amour, le chien va faire cela pour faire plaisir au maître. Il va s’entraîner, et en trouver le plus possible. »
Dès que l’animal a marqué une zone, le producteur va passer au « cavage » : creuser la terre avec un « cavadou ». « Quand on la trouve, on s’assure qu’elle est saine, sans pourriture, précise Gilbert Sérane. Si elle est un peu molle, on la remet en terre. » Car trouver une truffe n’est pas une fin en soi : encore faut-il qu’elle soit de bonne qualité…

OÙ ACHETER LES TRUFFES LOCALES ?

Fini le temps des ventes sous le manteau, en marge des marchés. Désormais, la truffe se démocratise. « Les mentalités ont évolué, note Jérôme Capelli. Il existe même des marchés de la truffe. » Pour en acheter le plus simple, c’est de connaître des producteurs. « On peut appeler le syndicat, qui aiguillera », promet Gilbert Sérane. Mais attention : il est facile de se faire avoir sur la qualité. « Chaque année, des gens achètent sans le savoir des truffes pourries » déplorent les producteurs. D’où l’intérêt de privilégier les marchés officiels, où chaque produit est contrôlé par le syndicat. La fête la plus emblématique a lieu début janvier, à Saint-Geniès-des-Mourgues. Un immense marché festif, où plus de 70 kilos d’or noir sont échangés. D’autres événements sont programmés à Béziers, Clermont-l’Hérault, Saint-Jean-de-Buèges, Claret…

COMMENT CHOISIR UNE BONNE TRUFFE ?

Jérôme Capelli, qui contrôle les produits lors des marchés, suggère quelques conseils : « le plus important, c’est qu’elle soit bien ferme. Une bonne truffe sera sèche, sans transparence. Et le parfum doit être agréable : cela sent bon, la truffe ! »

COMMENT LA CUISINER ?

« Les gens ont tendance à conserver la truffe pendant plusieurs semaines. C’est une erreur. Au bout de 15 jours, elle aura perdu ses arômes ! » Qu’on se le dise : la truffe est « un produit frais », qui doit être consommé dans la semaine ! C’est pour cela que dès qu’il trouve un gros spécimen, Gilbert Sérane se tourne vers certains chefs qu’il connaît de longue date, comme les frères Pourcel, ou Eric Cellier. Les producteurs assurent qu’on peut la laver sans crainte. « Elle ne prend pas l’eau, tranche Jérôme Capelli. Quand elle est pleine de terre, la brosser ne suffirait pas ! »
Comment cuisiner l’or noir ? Gilbert Sérane recommande « la simplicité ! Râpée ou tranchée, avec du gros sel et un peu de beurre, c’est fabuleux ! Elle donnera une touche unique à la crème fraîche, sur les viandes ou les poissons. On peut aussi la servir en salade… Mais surtout, la truffe, cela ne se cuit pas ! » Restera ensuite à en profiter, pour redécouvrir ce goût indéfinissable. « Il n’y a rien de comparable, s’enthousiasme Gilbert Sérane. Celui qui respire le parfum d’un mélano ne l’oublie pas pendant 20 ans ! » La truffe, le fruit du paradis ?

GWENAËL CADORET

Pour en savoir plus : Syndicat des producteurs de truffe 06 48 50 93 49
http://syndicatdesproducteursdetruffes34.e-monsite.com