Il est des territoires qui semblent faits de contrastes, où le sauvage embrasse la civilisation sans jamais se laisser dompter. La Camargue en est l’incarnation. Ce matin de septembre, une légère brume flotte encore sur les étangs alors que notre petit groupe, composé de chefs passionnés et de leurs familles, prend la route en direction de la manade Raynaud, un lieu qui respire la tradition et la terre de nos ancêtres.
Cette escapade gastronomique, orchestrée par nos chefs rédacteurs Paul Courtaux, Guillaume Despont et Ruddy Gounel, sans oublier Carole Soubeiran, nous entraîne dans l’intimité d’un terroir profondément enraciné dans l’âme du Sud. D’autres amis et chefs nous ont rejoints : Frédéric Husser, Charles Fontès, Pierre Morel et Emmanuel Clausel, propriétaire du domaine Uma. Ensemble, nous allons redécouvrir cette terre mythique, entre mer et marais, là où le cheval blanc et le taureau noir règnent en maîtres.
Le paysage, tout d’abord, s’impose à nous avec une majesté naturelle, une poésie brute qui n’a besoin de rien pour émouvoir. La manade Raynaud nous accueille dans cette Camargue sauvage, où les étendues d’eau se perdent à l’horizon et où l’air salin s’invite à chaque inspiration. Ici, dans ce coin isolé des Bouchesdu-Rhône, une démonstration de tri nous est offerte, rappelant les gestes ancestraux des gardians. Le silence est à peine troublé par le souffle des bêtes et le clapotis léger du Petit Rhône. La manade Raynaud est l’une des plus
anciennes de Camargue, fondée en 1904, et au fil des générations, elle a su perpétuer un savoir-faire unique, l’élevage des taureaux camarguais, ces Raço di Biòu fiers et impétueux,
qui alimentent les arènes de la région pour les fameuses courses à la cocarde. Deux d’entre eux, Régisseur et Ratis, ont même décroché le prestigieux Biòu d’Or, véritable Graal pour tout manadier.
Après cette immersion dans la vie des gardians, nous nous sommes laissé guider jusqu’à la plage sauvage du Grand Radeau, là où la mer semble se confondre avec le ciel, dans une immensité presque irréelle. Territoire sauvage et préservé, elle s’offre à nous dans toute sa splendeur. Ce bout de terre à l’embouchure du Petit Rhône est prisé par les amateurs de nature et de tranquillité, bien que l’accès en soit restreint. Il faut en effet obtenir un laisser-passer délivré par la mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer pour accéder à cette plage protégée. Pendant une bonne partie de l’année, un garde-barrière municipal contrôle les entrées, limitant ainsi l’afflux de visiteurs et de véhicules afin de préserver cet espace fragile, menacé par l’érosion. La mer gagne chaque année un peu plus de terrain, grignotant lentement les bandes de terre sur lesquelles se dressent encore la manade Raynaud et ses traditions séculaires.
Mais l’appel de la mer se fait aussi dans l’assiette. Et quoi de plus emblématique de la
Camargue que de déjeuner chez Za, le pêcheur fou, qui incarne à lui seul toute la folie douce de cette région. Situé au bord du Rhône et non loin du bac sauvage, ce restaurant atypique est une étape incontournable. Le bac, particularité locale, transporte aussi bien des voitures que des chevaux, qui, accompagnés de leurs cavaliers, font la traversée pour rejoindre les vastes étendues de plages et de réserves naturelles accessibles uniquement aux guides camarguais.
Une traversée de cinq minutes qui semble hors du temps, tout comme l’atmosphère qui règne chez Za, où le bois de la cabane et l’odeur des poissons fraîchement pêchés se mêlent pour offrir une expérience authentique.
Un festin de saveurs marines nous attend, simple et généreux, comme cette terre. Entre deux bouchées de loup grillé et quelques verres de vin local, les conversations se mêlent à la musique discrète des vagues. Le temps semble suspendu, comme si la Camargue elle-même nous invitait à nous fondre dans son rythme apaisé, loin du tumulte du monde.
La journée s’achève, mais les images de cette escapade resteront gravées dans nos mémoires. La Camargue, ce territoire indomptable où chaque détail de la nature semble avoir été posé avec soin, nous a offert bien plus qu’une simple évasion. Elle nous a ouvert les portes de son âme, une âme nourrie par des traditions séculaires et un respect profond pour la nature. Une terre où l’homme vit encore en harmonie avec les éléments, où chaque geste, chaque parole semblent être un hommage à cette beauté sauvage.
Lorsque nous repartons, les paysages de la Camargue défilent encore devant nos yeux, tout en nuances de rose, de vert et de bleu. Le soleil, timide, amorce sa descente. Les plaines semblent s’étendre à l’infini, marquant la fin d’une journée hors du temps. Et au loin, les chevaux blancs galopent, libres, dans cette terre qu’aucun rêve ne saurait capturer tout à fait.