Chef invité, Julien CALIGO

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Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

C’est depuis les pages soigneusement étudiées du livre de son arrière-grand-mère que l’adolescent découvre la magie de la cuisine traditionnelle française. Quel chemin parcouru depuis ! De paris à Villeneuve-Lès-Avignon, en passant par l’hôtellerie de luxe du Castellet et les cuisines étoilées de Pierre GAGNAIRE, le jeune prodige a affiné son art pour créer des plats qui émeuvent et qui touchent, pour finalement devenir, à 30 ans, le plus jeune chef doublement étoilé de France. En 2024, il s’apprête à ouvrir son propre restaurant, promettant une nouvelle ère de créativité culinaire et de profondeur émotionnelle dans chaque assiette. Un rendez-vous à ne pas manquer.

Votre mère était restauratrice. Est-ce le fait de baigner dans cet univers qui vous a donné envie de faire de la cuisine ?

Julien Caligo : Je crois que c’est surtout le plaisir de faire plaisir. J’ai commencé par la salle en réalité, chez ma mère justement. Elle ne souhaitait pas forcément que je devienne chef d’ailleurs. C’est quelque chose qui l’inquiétait beaucoup. Aujourd’hui encore, du reste.

Pourquoi ?

Parce que c’est un métier difficile où l’on fait beaucoup d’heures. Mais quelque part cela m’a servi, car le fait de devoir la convaincre m’a permis de vraiment réfléchir à mes motivations.

Je crois savoir que vous avez aussi été influencé par un livre un peu spécial, celui de votre arrière-grand-mère…

C’est vrai. C’est mon oncle, qui était en cuisine, qui me l’avait donné. Je pouvais passer des nuits entières à le feuilleter. Un livre de cuisine française, un “Larousse” un peu épais, les feuilles étaient un peu vieillissantes mais l’intérieur était intact. D’ailleurs c’est ainsi que j’ai commencé à ressentir une véritable passion pour les livres de cuisine. J’en ai une jolie collection ! (Rires) J’ai dû arrêter !
Maintenant je collectionne les vieux guides Michelin. Vous voyez celui-là, je l’ai offert à Benjamin et Carole, 1974, leur année de naissance.

Vous commencez votre parcours chez Jérôme Nutile au Castellas…

Oui, voilà on est en 2009. Il vient d’obtenir sa deuxième étoile. C’était très fort. J’ai appris mon métier et j’ai appris à devenir un homme, à affronter les épreuves de la vie. C’était difficile, cela m’a endurci mais cela m’a aussi préparé pour le reste de ma carrière.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

Vous enchaînez une saison à Courchevel avec Nicolas Sale au Kilimandjaro avant de monter sur Paris et d’intégrer la brigade de la Maison Rostang auprès de Nicolas Baumann…

Je vais y rester trois ans et demi. Je rentre en tant que commis, et j’en sors chef de partie. Là je découvre la bourgeoisie, la cuisine au vinaigre, les grands classiques. Mais surtout la générosité.

Ensuite, vous rejoignez Fabien Fage au Prieuré…

Là je découvre une cuisine très pointue sur les assaisonnements, très méditerranéenne, des cuissons laser… et toujours ce traceur de générosité. C’est un lien très fort qui dépasse la cuisine, qui est né entre nous. En fait, j’ai vraiment appris de chacun des chefs que j’ai côtoyés. Des choses positives, d’autres moins, mais j’ai toujours retiré quelque chose de ces relations.

Pourtant les styles devaient être différents…

Oui. Mais cela m’a appris. Commettre une erreur et prendre une casserole dans la gueule, clairement cela n’aide pas. Mais cela me forçait à me demander comment j’aurais aimé que l’on me parle pour que l’on puisse tirer le meilleur de moi-même. Comment tu peux motiver et amener quelqu’un vers un leadership, une énergie pour te faire remonter et aller chercher des solutions.

Vous passez un an à la Villa Madie avant de rejoindre la cuisine de Frédéric Bacquié…

J’ai beaucoup appris avec Dimitri Droisneau. C’est un technicien, un créatif et un homme hors pair. Je n’y suis resté qu’une année, car à ce moment-là de mon parcours, j’ai envie de plus. J’ai envie d’une expérience dans un 5 étoiles, j’ai envie de travailler avec un MOF pour compléter ma formation.

Et puis vous rencontrez Pierre Gagnaire…

Et Michel Nave. Ils sont hyper complémentaires dans la réflexion concernant les plats et dans les formations. Pour schématiser, je dirais qu’il y a les idées, l’aura de Pierre Gagnaire et le technicien Michel Nave. Petit à petit, je comprends leur schéma, et je pose aussi ma cuisine. Je commence à élaborer mes cartes en totale autonomie fin 2020 au Duende. On obtient l’étoile en 2021 et la deuxième en 2022.

Vous devenez le plus jeune doublement étoilé de France…

On attendait beaucoup de moi mais cela m’a appris à être encore plus performant. Pas forcément à être meilleur cuisinier, mais à être encore plus dans la recherche du goût, du moindre détail… à avoir les yeux à 180 degrés, en cuisine, en salle. À trouver l’harmonie entre les deux.

Ce doit être complexe de trouver son identité dans ce type de schéma…

Cela l’est en effet, car il faut conserver la colonne vertébrale, l’écriture existante et y coller son identité. Mais c’est aussi particulièrement intéressant. Et cela m’a permis de comprendre où je voulais aller.

Finalement, qu’est-ce qu’un bon chef ?

C’est écouter les autres. Être généreux. Et pas seulement dans les quantités ! (Rires) C’est dans le plaisir de recevoir, de faire sourire, dans la confection du menu. Dans la réflexion autour de l’assiette, dans le choix des produits.

Vous préparez l’ouverture de votre nouvel établissement prévu pour janvier 2024, quel en est le concept ?

Je ne peux pas encore dévoiler le nom mais c’est un projet qui me tient vraiment à cœur. Il s’agit d’une ancienne remise agricole à Calvisson qui, dans le passé, servait à stocker du vin. J’y ai vu une opportunité pour créer quelque chose d’unique. Il y aura plusieurs espaces distincts. Une grande table pour accueillir des repas entre amis, une table de chef pour ceux qui cherchent une expérience culinaire plus intime, un petit comptoir, un patio et une cuisine totalement ouverte, pour permettre une réelle interaction entre les cuisiniers et les convives. Je veux créer un espace sans barrières, contrasté, tranché, où l’élégance se mêle à la décontraction. Je tiens à ce que la salle et la cuisine fusionnent, qu’elles soient décloisonnées tout en gardant un fil conducteur commun, qui serait la rigueur. J’imagine une cuisine précise et savoureuse, mais proposée dans un cadre accessible, où le serveur et le cuisinier pourraient tour à tour assurer le service d’une trentaine de couverts.

Chefs d'Oc, magazine épicurien, numéro 27, été 2023

Les Chefs d’Oc ont souhaité vous inviter à témoigner de votre parcours dans leur magazine sous la houlette de Carole, quel regard avez-vous sur les initiatives qu’ils mènent pour la promotion de la cuisine régionale ?

Je connaissais le magazine et je suis assez admiratif de l’initiative qu’ils mènent pour promouvoir la cuisine régionale. Leur approche est moderne et témoigne d’une volonté forte d’aller de l’avant. Il s’en dégage une belle énergie que je trouve très positive pour notre profession. Il y a une dimension humaine particulièrement intéressante.

Quel est votre lien avec Carole ?

J’ai connu Carole et Benjamin fin 2017, début 2018 en venant manger chez eux. J’ai de suite beaucoup aimé le personnage et j’ai voulu que l’on se connaisse, connaître son univers. Et c’est un lien d’amitié fort qui nous unit depuis. Ils ont toujours été là pour moi et j’essaye de le leur rendre au mieux.

Qu’est-ce que vous aimez justement dans sa cuisine ?

Elle est vivante, généreuse par l’envie de faire plaisir. Et surtout, elle est très identitaire et c’est quelque chose de particulièrement précieux.

Photographe Guilhem Canal – rédaction Marie Gineste