Le chef Patrick Guiltat, a l’école du goût

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Au Castel Ronceray, Patrick Guiltat n’est pas qu’un simple chef cuisinier. Jour après jour, il se dédie à la formation de ses apprentis et stagiaires. Embarquement pour une journée dans son restaurant-école.
 
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8h15 AMBIANCE BUCOLIQUE EN TERRASSE

C’est un matin frais et légèrement brumeux comme le mois de mai en a le secret. À deux pas de l’avenue de Toulouse, une maison de maître est cachée derrière une grande résidence.

Derrière le portail immense, la terrasse luxuriante et le chant des oiseaux. Nous sommes au Castel Ronceray du chef Patrick Guiltat. Un établissement, réputé, gastronomique, mais familial : les Guiltat habitent sur place, à l’étage !

Le chef et sa femme Nathalie commencent leur journée. « Le matin, c’est un petit café, un petit journal. Ici, vous êtes au calme. On croise parfois des écureuils ! » Mais le chef est pensif : « Aujourd’hui, c’est un peu le bazar, avec les grèves. Un jour de grève, les patrons restent à l’entreprise. Et les patrons, c’est une clientèle importante de nos établissements. » Il n’y a pas si longtemps, le restaurant était rempli de cadres d’EDF, d’IBM, et même des laboratoires pharmaceutiques. « Le monde a beaucoup changé. Avant, on travaillait plus le midi. On avait une clientèle d’hommes d’affaires. Certains restaient jusqu’à 17h. On avait moins de pause, mais on s’y retrouvait ! Désormais, il faudrait presque deux cartes : plat du jour à midi, et gastronomique le soir. » Heureusement, la terrasse du restaurant plaît toujours. « Je connais plein de clients qui attendent son ouverture pour revenir. » Son fils enfourche son vélo pour aller au lycée. « On est bien ici. J’y ai élevé mes trois enfants. Au moins, j’ai toujours pu les voir ! »

9h LES COURSES À MÉTRO

Deux fois par semaine, le chef se rend à Métro, le grossiste alimentaire. « J’ai mes fournisseurs, et je complète ici, en choisissant mes produits. À Métro, il y a aussi de bonnes choses ! »

Au rayon poisson, c’est ambiance de halles. Toute l’équipe salue « Patrick ». Un homme se précipite pour ramener sa commande. Le cuisinier voudrait ajouter quelques rougets. « Non, ils ne te plairont pas », répond le chef du rayon. Le chef se retourne : « le responsable est là depuis des années. Il sait s’adapter à nos exigences. » Il récupère ses caisses d’écrevisses encore grouillantes, et de beaux poissons.

Direction la boucherie et les fruits et légumes. On croise Michel Loustau, du Domaine de Soriech et Jacques Mazerand ! Tous trois partagent encore ce « plaisir de faire les courses le matin, de choisir les produits. » Les vendeurs sont ravis. « Ce type de chefs, ils veulent des produits top. Cela fait plaisir de les croiser. » Même quand Patrick Guiltat les chambre gentiment. « 20 euros le kilo de cerises ? À ce prix-là, je vais m’acheter des cerisiers, c’est rentable ! Une fois passé en caisse, la tradition est de se retrouver à la machine à café. Les trois chefs parlent des clients, des devis, de l’actualité de la profession. « C’est un peu La Gazette des chefs ici ! » Sur le chemin du retour, Patrick Guiltat évoque son équipe.

7 personnes seront en cuisine, dont 4 jeunes en formation. « La transmission, j’aime ça », prévient-il, déjà…

10h RETOUR AU RESTAURANT24hCASTEL_Guilhem

« Bonjour chef. » Le staff vient vider le coffre. Mathieu, le second de 31 ans, passé par les cuisines d’Eric Cellier puis Jacques Mazerand, distribue les tâches. Le chef se change.
Au travail!

« Les écrevisses en premier ! » « Oui chef. » La priorité : lancer les fonds, à base d’os de caille ou d’écrevisses. Le chef ouvre le bac des crustacés. « Il faut les châtrer » : casser un bout de queue, et retirer un fil visqueux. « On ôte le boyau, qui donne de l’amertume. » Elles seront ensuite « cardinalisées » (rougies à la cuisson) avec des petits légumes, des herbes. Puis concassées, passées au chinois, pour devenir une sauce !« En cuisine, j’ai fait le choix de n’avoir qu’un seul salarié, explique Patrick Guiltat. Cela laisse plus de place à nos apprentis. Ici, on les forme vraiment. »

Elliott, en première année de brevet professionnel, stresse un peu. Lui qui n’est « pas à l’aise en pâtisserie » doit prévoir un biscuit au chocolat aujourd’hui. « Il faut apprendre », accepte-t-il.


Car ici, pas de sentiment : chacun va revoir les « bases » du métier. « Les jeunes parlent souvent de cuisine moderne. Mais il faut commencer par maîtriser les bases ! » Comme l’affluence du midi est aléatoire, le matin, on amorce aussi le repas du soir. « Le but de l’opération, c’est de faire le maximum de mise en place le matin. Pour que le soir, il ne reste que les finitions et les détails. »

10h30 « ATELIER POISSON »

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« Il m’en faut un pour gratter les dorades ! » Patrick Guiltat organise tous les jours des modules d’apprentissage. « Aujourd’hui, on lève des filets de poisson. Si un jeune ne sait pas faire, on va commencer par le lui montrer. Les premiers jours, il en lèvera un ou deux. Dans un mois, il sera capable de torpiller un casier entier ! On pourra passer à la prochaine étape. »

Elliott confirme « apprendre énormément. Je suis là depuis septembre. Avec Mathieu et le chef, j’ai vu plus de choses que lors de mes deux ans de CAP cuisine ! » Le chef regarde l’heure, et le tableau des réservations, encore vide pour ce midi. Il prévient son équipe : « aujourd’hui, comme c’est jour de grève, on ne sait pas trop ce qu’on va faire… »

10h45 DONNER ENVIE

Dans l’extension de la cuisine, Caurentin, 21 ans, lave la salade dans une immense essoreuse manuelle. Étudiant en BTS, il voulait absolument effectuer son stage de quatre mois ici. « Je connaissais la réputation de l’établissement. On sait qu’ici, on apprend beaucoup. »

Mathieu observe chaque jeune. « Ce qui est pénible, c’est que quand ils deviennent bons, en fin de formation, ils s’en vont », confie-t-il. Dans un coin de sa tête, le second y pense aussi, au départ… « Le but de l’opération, c’est qu’il devienne chef à son tour », encourage son boss ! Céline, 34 ans, s’occupe du repas du personnel. « Mets ta poêle pour les cailles. » « Oui chef ! » La jeune, femme est enthousiaste. À 34 ans, cette assistante commerciale change de vie. Après 9 mois de congé de formation au Castel Ronceray, elle vient de démissionner de son ancien job. « Ici, c’était la maison idéale pour découvrir le métier, assure-t-elle. Un gastronomique, un chef présent pour nous montrer les choses. C’est un peu un papa pour l’équipe ! »

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La situation est sous contrôle. D’ailleurs, le chef devient taquin. Tout le monde sourit, pouffe de rire. Un esprit « exigeant, mais cool », selon Patrick Guiltat. « Mon ambition, c’est que les gens aient du plaisir à venir travailler chaque jour. On n’est pas à l’usine. Beaucoup de jeunes abandonnent très vite le métier, parce que les restaurants leur mettaient trop la pression. » En cuisine, les cartes postales des anciens apprentis sont affichées. Comme des preuves des liens tissés. « J’entends dire que les jeunes ne sont pas bons. Mais cela ne vient pas tout seul. On doit les accompagner, les former, les pousser… Quand ils sortent de l’école, ils doivent savoir tout faire. »

11h15 BRIEFING AVEC L’APPRENTI

En salle, Nathalie Guiltat, sommelière et maître d’hôtel, s’active avec son apprenti Cédric. Le jeune garçon, 18 ans, vient en cuisine pour connaître le détail des plats, les suggestions : langoustines, filet de veau en croûte de pistaches… Les fonds commencent à mijoter. Patrick Guiltat pense déjà aux futures recettes. « On y réfléchit dans les moments calmes. On en parle avec Mathieu, on échange nos idées. Souvent, on part d’un produit de saison. Exemple : les petits pois. On imagine des entrées, des plats, pour les mettre en valeur. » Il faudra également préparer le menu de la fête des Mères, les devis des buffets des baptêmes et mariages. « On reçoit des familles tout au long de leur vie ! »

 

11h35 REPAS DU PERSONNEL

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« Allez manger ! » Alors que le fournisseur de viandes s’en va, le chef libère son équipe. Dans la petite terrasse intérieure, on rigole, on se donne des nouvelles.

Mathieu plaisante de bon cœur avec les jeunes. « Il faut faire un mix entre moments de travail sérieux et bonne ambiance. » Le chef reste en cuisine. Il découpe méticuleusement l’agneau, pour en extirper les meilleurs morceaux, avant de voir les affaires courantes avec sa femme. Le « repas du perso » ne dure que quelques minutes. « On mange trop vite, avoue Elliott. Mais elles étaient très bonnes, ces cailles. Dans les autres restaurants, on ne mange pas aussi bien ! » Le chef a une habitude : quand de bons produits approchent de la date limite, ils sont servis au personnel. « C’est mieux que d’attendre de les jeter, justifie le chef. Ce sont de petites attentions qui font plaisir ! » Un vrai papa, qui écoute les peines de cœur et paye un coup pour les anniversaires. « Dans ce métier, il ne faut jamais oublier la dimension humaine. »

11h45 ÊTRE PRÊT, AU CAS OÙ…

Patrick Guiltat sent que le service du midi sera « très tranquille ». En attendant, il évoque son autre carrière. Pendant son école hôtelière, de 1979 à 1982, l’homme était footballeur de haut niveau ! « J’ai joué à Auxerre avec les cadets nationaux. Guy Roux voulait que je devienne cuisinier du centre de formation ! » Mais l’homme veut être chef. Il s’installe à Paris, et cumule travail, entraînements, et matchs le dimanche. « J’ai joué jusqu’à mes 30 ans. Maintenant, je n’ai plus de cartilage à une hanche à force de faire des heures ! » La cuisine est un métier difficile. D’ailleurs, aucun de ses trois enfants n’imagine reprendre le restaurant. « Avant, quand tu bossais, tu étais récompensé. Mais les gens ont de moins en moins d’argent. »

Midi UN SERVICE BLANC

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Le restaurant ne recevra aucun client ce midi. « Ce sont les aléas du métier. Heureusement, cela n’arrive pas souvent ! » Mais Patrick Guiltat ne perd pas son temps. « Avec les jeunes, on a revu le carré d’agneau. C’est une technique complexe, donc il faut prendre le temps de montrer les choses. On ne pourrait pas le faire si on avait du monde ! » Bref, en période calme, le cuisinier laisse encore plus de place au formateur. « Après, c’est frustrant de ne recevoir personne. La difficulté de ce métier, c’est la gestion des stocks. Il faut un minimum de produits prêts. » Pour gagner du temps, et faire des économies, les chaînes achètent d’ailleurs des viandes désossées, des filets de poisson. « Les jeunes n’y font plus que de l’assemblage, du dressage. Il leur manquera tout le savoir-faire ! »

16h30 DIRECTION MUDAISON

Le chef nous emmène chez son maraîcher. En route, il parle famille. « C’est bien d’aider les gens à 10 000 kilomètres, mais il faut penser à ses proches ! Il ne faut pas oublier d’accompagner ses enfants, leur accorder du temps. » La famille, une valeur importante en ces temps difficiles.

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« On doit courir pour toujours payer quelque chose. Au restaurant, quand il n’y a pas trop de couverts, il n’y a pas d’argent qui rentre. Cela pourrait générer des doutes. » Heureusement, il en a vu d’autres. « Si on est là depuis 20 ans, c’est bien qu’on apporte quelque chose aux clients. » Et sans doute aussi aux apprentis. « Une jeune m’a dit un jour une phrase qui m’a marqué : « Vous nous volez un peu à nos parents ! » Mais ce sont à eux de faire les efforts. Avant 26 ans, il ne faut pas trop se focaliser sur le salaire. Il faut acquérir un maximum de savoir-faire. C’est comme dans le sport, on fait les gammes avant de devenir pro. »

On le verrait bien enseignant. « Oui, pourquoi pas, répond-il sincèrement. J’aimerais avancer jusqu’au bout avec mon entreprise. Mais c’est difficile. Un jour, peut-être que l’on décidera de vendre. Nos enfants nous disent qu’on a gagné le droit à une vie plus tranquille ! »

17h NICOLAS MONIER, LE MARAÎCHER

24hCASTEL_GuilhemAu bord d’une route, au sud de Mudaison, le maraîcher Nicolas Monier et son épouse reçoivent le public. Depuis trois ans, Patrick Guiltat vient se fournir ici. Sur 12 hectares, la production est variée : tomates, aubergines, radis, salades, asperges, melons, pastèques… Ce que le chef apprécie, c’est que le maraîcher ramasse les produits à la commande. En faisant un tour des serres, on découvre les poivrons ronds et sucrés, les fraises au goût incroyable, les 1.800 plants de tomates qui commencent à rougir. L’homme parle de ses produits avec tendresse. « Il faut en prendre soin, les respecter ! Je ne comprends pas les méthodes trop intensives. Comme dans la cuisine, il faut que ce soit bon, pas de la flotte ! » Le chef sourit. « J’aime faire travailler de petits jeunes. Ses produits tiennent le choc une semaine. C’est important ! »

19h RETOUR EN CUISINE

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Ce soir, quatre clients ont réservé. En déchargeant les caisses, Caurentin est radieux. « C’est une chance de pouvoir toujours travailler des produits frais, de qualité. On retrouve le vrai goût des choses ! » Elliott a enfin finalisé son biscuit chocolat/pâte d’amandes. Il éclate de rire en le mettant au four. « Ça gonfle vachement ! » En salle, Cédric roule les serviettes. « Ce n’est pas une période très intense. Même les plages privées sont vides. Il faut être patient, attendre les beaux jours. » On entend les rires en cuisine. De plus en plus chambreur, Patrick Guiltat prépare des petits en-cas pour tout le monde, tout en jetant un œil à son téléphone. Ce soir, il y a match. Et il compte bien suivre le score.

20h30 DES CLIENTS !

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Les quatre clients du soir arrivent. « Deux entrées, fois deux », annonce Cédric. L’équipe se met en marche. « Apéritifs pour deux s’il vous plait ! » Elliott est chargé de la mise en bouche, à base de mousse de petits pois. « Ça passe ! » Les assiettes, revues par le chef et son second, partent en salle. Au bout de quelques minutes, les commandes se succèdent. « On fait marcher les entrées », lance Patrick Guiltat. Le rythme s’est accéléré. Soudain, Elliott court dans la cuisine. Il y a eu un souci avec le guacamole ! En urgence, il cherche des avocats. On sent une pointe de tension, même si Patrick Guiltat reste calme. L’accident sera vite rattrapé. Elliott respire un coup, mais il ne faut pas se relâcher. Mathieu et le chef s’activent avec les jeunes. Les assiettes de viandes et poissons sont dressées. Le serveur les emporte. Le gros du travail est fait…

22H00 LA PRESSION RETOMBE

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« À la 6, un fromage ! » Le match est très serré. Le chef annonce le score à l’équipe, et chacun y va de son commentaire, tout en nettoyant progressivement la cuisine. « Une fois que c’est propre et rangé, je vais voir les habitués. Puis je monte me doucher. » Le chef est un couche-tôt ? « Pas vraiment ! Souvent, on termine vers 23h, voire minuit. Et je prends toujours un moment pour regarder les infos… et les résumés de matchs ! » Mais par contre, il ne sort pas. « J’ai 50 ans, et la chance d’habiter sur place… En général, je me couche avant 1h. Parce que je dois être debout à 7h30 ! »

22H30 LA FIN DU MATCH

La journée se conclut autour du football. « Mon père dirigeait l’équipe réserve d’Auxerre. J’ai joué arrière central/milieu défensif. Des positions très stratégiques. » Sans surprise, le chef a souvent été capitaine… Bénévole au club de Maurin, il entraînait parfois les équipes de jeunes. On lance au chef qu’il se comporte en cuisine comme un entraineur. Il rigole. « À l’époque, un apprenti m’appelait coach Guiltat ! » Dans le calme intime de la salle, les clients semblent ravis de leur soirée. La plus belle des victoires.

TEXTE GWENAËL CADORET

PHOTOS GUILHEM CANAL