L’HUÎTRE SE FAIT UN PRÉNOM
« Avez-vous goûté les huîtres Agathe ? »
Depuis quelques mois, les épicuriens ne parlent que de ça. L’Agathe, aux formes généreuses et à la saveur subtile, arrive sur les meilleures tables. Il se murmure qu’on en demande même en Chine…
Pourtant, dans la zone conchylicole de Loupian, Le Petit Mas de la famille Masson, les créateurs de l’Agathe, se fait discret, au milieu des 500 (!) producteurs de l’étang de Thau. Au fond d’une petite route mal fléchée, c’est Agathe, la fille, qui reçoit en toute simplicité. « Ici, on travaille en famille », annonce-t-elle dans un grand sourire. Elle est en train de reprendre l’établissement créé par ses parents, Jean-Louis et Marie-José, en 1978.
UN « ÉTRANGER » SUR LE BASSIN
Une histoire de famille qui tient un peu au hasard. Possédant une maison qui surplombe l’étang de Thau, Jean-Louis Masson n’imaginait pas du tout devenir ostréiculteur. Mais après avoir été initié par des producteurs bienveillants, il a l’idée folle de se lancer, dans un bassin où tout nouvel arrivant est vu comme un « étranger ». Ce qui ne l’empêchera pas de développer une exploitation florissante. « On faisait de l’expédition en gros, pour la grande distribution, raconte-t-il. On a compté jusqu’à 20 travailleurs. » Mais au bout d’un temps, il divorce avec les supermarchés. « J’en avais marre des labels, des cahiers des charges. Tout cela ne correspondait pas à ma vision de la qualité, du produit. À partir de 2007, on a préféré revenir à une dimension plus artisanale, en famille. »
C’est peut-être ce qui a convaincu Agathe de rejoindre l’aventure, il y a deux ans. « Je suis née ici. J’ai grandi au milieu des parcs à huîtres. J’avais tout fait pour m’en éloigner. » Mais à 30 ans, elle se laisse rattraper par la passion. Entre-temps, elle a construit sa petite famille, appris le commerce et l’exportation. « On sait que c’est un métier de fou, on a vécu tellement de galères. Mais on y revient ! » Car il y a aussi de bons côtés.
« C’est la vraie vie ! On est en contact direct avec les éléments. On bénéficie d’une vraie qualité de travail. » Hasard ou coïncidence, son arrivée coïncide avec la création des huîtres Agathe. Une aventure qui doit beaucoup à la rencontre d’un chef montpelliérain. « Guillaume Despont, du
Bistrot de Bacchus est tombé sous le charme de nos produits. »
Le chef a incité la famille Masson à imaginer une huître haut de gamme. « On s’est pris au jeu de la gastronomie, sourit Jean-Louis Masson. Il voulait le meilleur de l’huître. Son œil de pro nous a poussés à aller plus loin. » Leur produit phare est alors la « Réserve Masson », déjà reconnue pour sa qualité. Mais l’Agathe va la surpasser : un calibre plus grand, des saveurs plus affirmées. « Désormais, c’est elle qu’on nous demande le plus, s’enthousiasme Agathe.
Guillaume Despont nous a également mis en contact avec d’autres chefs, qui commencent à cuisinier nos produits. »
CHAMPAGNE
La récompense pour une entreprise qui mêle tradition et modernité. Pour être suspendus aux fameuses structures de l’étang (d’anciens rails SNCF !), les jeunes coquillages sont collés au ciment par grappe sur des cordes. Le « secret Masson », c’est la position des huîtres, 4 par 4, dos à dos, qui contraint les coquillages à grandir avec une belle forme bombée. Et Jean-Louis Masson a apporté une touche d’innovation. « Mon père a breveté un système motorisé permettant de relever les huîtres hors de l’eau », confie Agathe avec fierté. L’intérêt : agir sur leur croissance. « Le bassin de Thau est un milieu très riche en oligo-éléments. Si on ne les sort pas de l’eau, les huîtres peuvent grandir très vite. » Tellement vite qu’elles n’ont pas le temps de développer leurs muscles et leur nacre. « On reproduit l’effet des marées, précise-t-elle. On les endurcit, on leur donne un coup de pouce pour les aider à bien se développer. Cela leur permet de gagner en chair, et en goût.
C’est le champagne de la Méditerranée ! »
La famille Masson produit 12 000 huîtres, soit 60 tonnes, par an. Sur place, l’outil de production est au point. Ramenés par bateau, les coquillages sont disposés sur des tapis roulants, où des machines vont les détacher, les trier selon leur calibre et les nettoyer. En novembre et décembre, le pic de demande, ils sont jusqu’à 7 à travailler sur place. L’opération la plus importante : vérifier leur goût. Car les producteurs ne maîtrisent pas les aléas de la nature, qui influent sur leurs coquillages. La seule technique : goûter, et encore goûter !
« On mange des huîtres tous les jours, plaisante Jean-Louis Masson. On vérifie si la nacre est bien perlée, le muscle épais, si elle tient bien en bouche. En général, on se régale ! »
Et qu’on ne lui parle pas de vinaigre d’échalote ou de citron… « Une bonne huître, cela se déguste tout seul, avec un vi blanc pas trop sec. Le citron, cela casse le goût. » Un goût de gras, avec des notes iodées, et sucrées. Certains y sentent même de la noisette.
Que pense-t-il du travail des chefs, qui transforment totalement son produit ? « Ils en font quelque chose de nouveau, c’est très bien. On est aux balbutiements de la cuisine de l’huître. Il faut leur faire confiance. Après tout, s’ils s’intéressent à l’huître, c’est une vraie reconnaissance pour ce produit du terroir ! »
Le Petit Mas,
Lieu-dit la Croix Neuve – Zone Conchylicole de Loupian.
Soirées dégustation en juillet-août, les mercredis et jeudis.
Infos : 06 98 72 78 53 et www.massonfilles.com
TEXTE GWENAËL CADORET
PHOTOS GUILHEM CANAL