Véritable couteau suisse de la photographie, il est l’un de ces artistes qui dressent un trait d’union ténu entre deux disciplines connues pour leur exigence, la photographie et la gastronomie. Du produit d’exception à la composition culinaire, il va à la rencontre des acteurs les plus prestigieux, producteurs uniques, chefs étoilés ou confidentiels… l’art de l’un magnifiant celui de l’autre. Unique et aisément reconnaissable, son travail mélange humilité et puissance. Car l’autodidacte sait se mettre en retrait, observer et faire naître quelque chose là où il n’y avait encore rien. Cette fois-ci, ce ne sont pas ses photos que vous allez découvrir mais l’homme. L’occasion d’en apprendre davantage sur cet épicurien au grand cœur. Au programme, de la cuisine, de la convivialité, des confidences et beaucoup d’amour.
Chefs d’Oc : Qu’est-ce que vous allez nous préparer de bon tous les deux ?
Thomas Réa : Ce soir, on cuisine les produits des copains pour les copains ! Il n’y a pas de bonne cuisine si elle n’est pas faite pour ceux avec qui on la partage.
Guilhem Canal : Et ça c’est beau ! (Rires)
Thomas Réa : On est à la Table des poètes, les amis ! (Rires) On va préparer une entrée autour des huîtres de Patrice Breseghello. Avec un wakamé concombre citron caviar.
Guilhem Canal : C’est un pote, on a déjà fait son interview, lui aussi est un poète !
Thomas Réa : Pour continuer, on va partir sur un plat plus familial. Des spaghettis aux cèpes que j’ai reçus ce matin. Un peu de roquette, des noisettes et du parmesan. Mon cher ami, tu attaques les cèpes ?
Guilhem Canal : Je suis dessus. Je ne suis pas très rapide mais je suis appliqué. Très important : ne pas en mettre partout et garder son établi bien propre ! (Rires)
Chefs d’Oc : Cela t’a-t-il surpris que les chefs te demandent de passer de l’autre côté de l’objectif ?
Guilhem Canal : Forcément. Mais cela me fait particulièrement plaisir que les chefs aient eu envie d’organiser cela. Je fais les photos pour le magazine depuis ses débuts, je suis sincèrement touché. Et je suis content de cuisiner avec Thomas. Même si on ne se connaît pas depuis longtemps, j’aime beaucoup sa vision de la cuisine. C’est un amoureux du produit et on a clairement cela en commun.
Chefs d’Oc : Qu’est-ce que la photographie culinaire a apporté à ta pratique ?
Guilhem Canal : Le sens du détail. La patience aussi, car c’est un art où nous sommes deux, le chef en cuisine, moi en coulisses. J’aime shooter l’avant, le pendant, la construction de leur plat, et essayer de le magnifier à ma façon à l’arrivée ! Il faut s’adapter aux imprévus, aux conditions. Être sûr et prêt au bon moment. Une fois que le chef a posé son plat, je n’ai pas le droit à l’erreur, je dois être sûr de ma composition mais surtout de la lumière, du cadrage. Mon regard sur les choses qui m’entourent a changé aussi.
Chefs d’Oc : En quoi ?
Guilhem Canal : J’ai toujours aimé la gastronomie. Mais peut-être encore plus depuis que je côtoie les chefs. Avec eux ou grâce à eux je suis allé encore plus loin, j’ai découvert la complexité de leur travail, la passion qui les anime. En réalisant tous ces reportages chez leurs producteurs, leurs vignerons, je me suis enrichi d’un savoir, d’une vision à laquelle j’adhère complètement désormais. Le travail de la terre. Partir d’un produit brut pour en magnifier toutes les saveurs. Créer d’inoubliables instants… c’est incroyable ce qu’ils font, et cela me nourrit à la fois en tant qu’homme mais aussi en tant que photographe.
Chefs d’Oc : Comment travailles-tu avec les chefs ?
Guilhem Canal : Il n’y a pas de méthodologie, tout dépend du chef. L’essentiel est de transmettre quelque chose. De la matière, un vécu, des envies… En définitive, la discussion avec les chefs, comme la découverte de leur univers, est primordiale. Les chefs ont leur vision de leur assiette, mais moi j’aime aller chercher le petit quelque chose un peu décalé qui va les surprendre, amener une dimension graphique.
Chefs d’Oc : Thomas, qu’est-ce que la photographie apporte à ton travail ?
Thomas Réa : De la photo, on en fait tous aujourd’hui avec les smartphones. Mais on n’est pas photographe. On n’a pas l’œil que Guilhem peut avoir. Quand je choisis un produit, dans ma tête, de suite, je vais penser à une recette. Mais lui va savoir comment la shooter, la cadrer, la mettre en lumière. Avec son œil, il apporte encore une autre dimension, une autre vision de ce que l’on est et de ce que l’on fait. Il met en lumière notre travail, notre passion.
Chefs d’Oc : Tu faisais déjà de la photo culinaire avant le magazine…
Guilhem Canal : J’avais déjà un pied dedans, mais avec l’expérience du magazine, naturellement mon travail a évolué. C’est devenu une passion. C’est une chance de faire ce que l’on fait. D’aller comme cela rencontrer des producteurs, de pouvoir être aux premières loges en cuisine.
Chefs d’Oc : C’est enrichissant humainement…
Guilhem Canal : Clairement ! Ce sont des hommes et des femmes avec une éthique, avec des valeurs auxquelles je suis particulièrement attaché aujourd’hui. On est à Montpellier, et Thomas va chercher ses agrumes à Perpignan parce que ce sont les meilleurs. Et ça c’est juste un exemple. S’il fait ça sur le citron, je te laisse imaginer ce qu’il fait sur le reste !
Chefs d’Oc : Y a-t-il un plat qui visuellement t’a marqué au cours de ta carrière ?
Guilhem Canal : Une recette de Michel Kayser. Un tartare de taureau de Camargue, un plat entièrement cru qui s’accompagne d’un sorbet à la salicorne avec une pointe de spiruline. La démarche esthétique est assez folle. C’est dressé comme une plage qui rappelle la Camargue. Et ce qui est encore plus incroyable, c’est que l’histoire visuelle qu’il raconte, tu la retrouves en bouche.
Chefs d’Oc : Et une rencontre ?
Guilhem Canal : Sébastien, des Jardins de Costebelle. Son approche humaine, celle de la terre. Son bon sens paysan. Ce qu’il fait, il le fait bien, et à fond.
Thomas Réa : Le mec simplement. Il est dans l’échange comme peu de personnes. C’est un fou furieux des légumes. Ce qu’il fait avec Cédric, c’est magique. Je fais un aparté, tu as déjà cuit des pâtes ? (Rires)
Guilhem Canal : Oui ! À la maison, je cuisine aussi ! (Rires) Mon truc, ce sont les fonds de frigo ! Je ne sais pas suivre une recette mais dès qu’il faut improviser, je me débrouille assez bien ! Je t’observe depuis tout à l’heure, Thomas, tu goûtes tout !
Thomas Réa : Tout et tout le temps ! Pour voir si l’assaisonnement est bon, si ça prend bien la cuisson. Il faut prendre le temps !
Chefs d’Oc : Finalement, qu’évoque la cuisine, pour toi ?
Guilhem Canal : C’est bateau comme réponse, mais le partage, la convivialité. Ce n’est pas pour rien que mon petit bonheur, c’est une bande de potes, un brasero ou une plancha, un joli morceau de viande, des légumes et quelques bonnes quilles de vin.
Chefs d’Oc : Qu’aimerais-tu expérimenter en cuisine aujourd’hui ?
Guilhem Canal : En photo comme en bouche, le Maaemo en Norvège. La viande par exemple, le chef va la chasser lui-même. Je trouve la démarche globale géniale et pointue. Ce serait un challenge de produire des images à la hauteur de ce qu’il fait.
Chefs d’Oc : Tout à l’heure Thomas parlait de ton « œil », comment le définirais-tu ?
Guilhem Canal : Je dirais que mon approche s’apparente à « raconter une histoire » mais, selon avec qui je travaille, cela peut aussi être simplement la réalisation d’un visuel original, créatif ou graphique. Je cherche le juste milieu créatif et sa correcte représentation artistique. Et c’est aussi pour cette raison que j’ai eu envie de mettre tout cela en mouvement en créant LACLIK, un espace créatif d’indépendants, qui réunit de la photo, de la vidéo, du web, de la direction artistique ou encore de la rédaction, du community management… Nous sommes tous très complémentaires.
Chefs d’Oc : Il est presque impossible de te faire entrer dans une case. Tu touches absolument à tout en matière de photographie. Mode, coiffure, joaillerie, concert, pub, gastronomie… c’est assez rare comme profil ! Qu’est-ce qui te fait rêver aujourd’hui ?
Guilhem Canal : Continuer encore longtemps à prendre du plaisir dans ce que je fais tout simplement, et naturellement on espère toujours que de cette façon les projets les plus sympas se présenteront à nous !